Le Manifeste des ‘343 salauds’ éclipse la question essentielle du sort des prostituées (Newsring, 5 novembre 2013)

Par Ariane Hermelin.

A quelques semaines de la présentation du nouveau projet de loi sur la prostitution à l’Assemblée, le manifeste des «343 salauds» a rallumé la mèche. Esther Benbassa, sénatrice écologiste EELV et auteur d’une proposition de loi sur l’abrogation du délit de racolage votée par le Sénat en mars dernier, considère que ce texte ne prend pas en compte la question des prostituées. «Ce ne sont pas les clients qui m’intéressent, ni leurs fantasmes ou leurs déclarations», déclare-t-elle.

J’ai écrit la proposition de loi sur l’abrogation du délit de racolage, que j’ai ensuite fait passer au Sénat. L’abrogation du délit de racolage figure dans la nouvelle loi qui va être bientôt débattue à l’Assemblée. Elle contient en outre la pénalisation du client, qui consiste en une amende de 1500 euros. En cas de récidive, cette amende est portée à 3000 euros, complétée par un stage de sensibilisation que doit subir le client de la prostituée .

Dans cette loi figure également l’accompagnement des prostituées qui souhaitent quitter la prostitution et se réinsérer dans un autre métier, et j’en suis d’accord. Je souhaite qu’on pense également  à la retraite de ces femmes qui finissent en général délaissées, pauvres. Comme beaucoup de gens, je suis pour un combat énergique contre le proxénétisme et la traite des êtres  humains. Personne ne reviendra là-dessus, nous sommes toutes et tous d’accord sur ce point.

La pénalisation des clients induit la précarisation des prostituées

En ce qui concerne la pénalisation des clients, j’y suis, en revanche, opposée, parce que je pense que ce sujet pourrait être trop clivant, étant donné qu’il y a des opposants à la pénalisation et des personnes qui y sont favorables.

Par ailleurs, je ne comprends pas le Manifeste des «343 salauds» publié dans Causeur, qui fait directement référence aux «salopes» qui s’étaient regroupées en 1971 pour dire publiquement qu’elles avaient avorté. Rappelons d’ailleurs que le terme de «salopes» ne venait pas d’elles, mais de Charlie Hebdo. Ce «copier-coller» provocateur auquel se livrent les signataires me gêne beaucoup.

Ce ne sont pas les clients qui m’intéressent, ni leurs fantasmes ou leurs déclarations. Je m’intéresse à la question des prostituées. Si on décide de pénaliser les clients, on doit se poser la question du racolage, désormais autorisé après la proposition de loi que j’ai fait voter au Sénat sur l’abrogation du délit de racolage. Qui vont racoler les prostituées, si les clients sont pénalisés ?

Pénaliser le client, c’est précariser davantage les personnes prostituées, c’est revenir au point zéro, lorsque le racolage était interdit, et que les prostituées étaient contraintes à la clandestinité, de travailler sur Internet, exposées aux maladies sexuellement transmissibles car elles exerçaient dans des lieux inappropriés, dans des conditions déplorables. Si on pénalise les clients, les prostituées vont devoir à nouveau être clandestines, travailler sur Internet, subir des violences, tout cela sans pouvoir être accompagnées par les associations qui les protègent et les soutiennent d’un point de vue moral et physique…

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