Le destin tragique d’un porteur de valises (Le Monde, 05 mai 2018)

IL Y A 40 ANS ÉTAIT ASSASSINÉ HENRI CURIEL

Le destin tragique d’un porteur de valises

©D. R.
Son crime attribué à des anciens de l’OAS n’a jamais été élucidé. Le dossier est toujours classé secret défense.
 

La nouvelle enquête judiciaire ouverte en janvier dernier va-t-elle enfin permettre d’identifier les assassins d’Henri Curiel ? Le militant communiste et anticolonialiste franco-égyptien, porteur de valises pendant la guerre d’Algérie, a été tué par balle le 4 mai 1978, à Paris, à la sortie de son domicile. Quarante ans après sa disparition, sa famille est toujours en quête de vérité et continue à réclamer la levée du secret défense qui entoure ce drame, apparenté à un crime d’État. Un collectif a également vu le jour. Il est animé, entre autres, par Sylvie Braibant, journaliste et nièce d’Henri Curiel. Dans une tribune parue dans le journal français en ligne Mediapart, elle évoque la dissimulation de preuves évidentes. “Nous connaissons la vérité sur ses assassins mais, au nom du secret défense, la justice reste empêchée par un fil rouge menant du général Aussaresses au président Giscard d’Estaing”, fait-elle savoir. Dans ses mémoires, le général tortionnaire avait regretté de ne pas avoir tué les porteurs de valises, qu’ils considérait comme des traîtres. Il admettra plus tard qu’il n’est pas étranger à l’assassinat de Curiel. Le crime avait été revendiqué dans un premier temps par le commando Delta, un groupuscule proche de l’Organisation de l’Algérie française (OAS).
Mais les coupables n’ont jamais été trouvés. Deux enquêtes ont été déclenchées en 1992 et en 2009, mais sans résultats.
L’affaire a été classée car les magistrats ne sont jamais parvenus a accéder aux dossiers des services de renseignements. À l’époque des faits, l’ancien ministre de l’Intérieur, Christian Bonnet, avait affirmé que la divulgation des informations liées à l’assassinat d’Henri Curiel porte atteinte à la sûreté de l’État et à la sécurité publique.
On sait seulement que l’arme qui a servi à l’assassinat du militant tiers-mondiste est la même qui a été utilisée dans la mort, un an plus tôt, de Laïd Sabaï, gardien de l’Amicale des Algériens en Europe Il y a quelques mois, une biographie parue à titre posthume a relancé l’affaire. Son auteur, René Resciniti de Says, un militant fasciste, révèle avoir fait partie du commando qui a assassiné Henri Curiel. Le donneur d’ordre est, selon lui, Pierre Debizet, chef du Service d’action civique (SAC), une police parallèle au service du parti gaulliste, très ancré dans les institutions de l’État à cette époque.
Outre son soutien à l’indépendance de l’Algérie, Henri Curiel était ciblé pour son implication dans la lutte contre le régime de l’apartheid en Afrique du Sud, sa solidarité avec la cause palestinienne et son aide aux mouvements anti-fascistes.  Sa mobilisation contre le colonialisme français en Algérie a commencé en 1956, à la suite de sa rencontre avec Francis Jeanson, chef du reseau des porteurs de valises. Curiel prend la tête du réseau en 1960, avant d’être arrêté et emprisonné. Il fonde, par la suite, le mouvement anticolonialiste français, ainsi que Solidarité, une organisation d’aide aux mouvements de libération nationale, en Afrique.
Pour lui rendre justice et honorer son nom, trois personnalités françaises, Bertrand Badie, professeur à sciences Po, Gilles Perrault, écrivain, et Esther Benbassa, sénatrice, viennent d’adresser une demande à la mairie de Paris, pour donner le nom de Curiel à l’escalier qu’ont emprunté ses tueurs pour fuir. Un colloque en hommage à son parcours intitulé “La solidarité est-elle un métier dangereux ?” se tiendra, par ailleurs, aujourd’hui, à la Maison des syndicats d’Evry, près de Paris.