Le 17 Octobre commémoré au Sénat français «Il reste encore beaucoup à faire» (El Watan, 21 octobre 2014)

par Samir Ghezlaoui,

 

« A l’occasion de la commémoration du 17 Octobre 1961, un colloque a été organisé au Sénat français, vendredi, à l’initiative de Beur FM et du quotidien L’Humanité.
Une grande partie de cette journée de débats a été consacrée particulièrement à Mouloud Aounit, ancien président du Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (Mrap), décédé en 2012. «C’est un homme qui avait tout le temps une nouvelle idée pour promouvoir son combat contre le racisme et la discrimination», a déclaré Esther Benbassa, sénatrice Vert de Paris. «Il pouvait faire une grande carrière politique, mais les partis ne veulent pas de la diversité. Les élites ont peur de ces gens qui ont la rage de changer les choses, car ils ont peur de ce changement. Les élites n’aiment pas ceux qui ne leur ressemblent pas», a regretté la sénatrice Vert.

Mouloud Aounit s’est fait beaucoup de détracteurs lui reprochant ses positions tranchées sur trois plans. Il était d’abord un fervent défenseur de la mémoire de l’immigration maghrébine et algérienne en particulier. Il voulait une reconnaissance claire et forte des crimes commis par la France coloniale contre le peuple algérien. Son deuxième cheval de bataille était le combat antiraciste. Le sien se basait sur un triptyque : contre la discrimination, contre le racisme et contre l’islamophobie. Enfin, le combat qui lui a attiré le plus d’ennemis reste, sans aucun doute, son engagement profondément propalestinien. Il a subi un lynchage médiatique l’accusant d’antisémitisme.
Il a même été agressé physiquement par la Ligue de la défense juive en 2003.

Faisant une passerelle sociohistorique entre ce qui s’est passé à Paris un certain 17 octobre 1961 et la montée de la pensée d’extrême-droite aujourd’hui partout en France, l’historien Benjamin Stora reconnaît que «la société française a encore du mal à se réapproprier l’histoire de l’immigration, dont fait partie le 17 Octobre 1961. Elle a du mal à regarder en face son histoire coloniale, car c’est une marque de la défaite de l’Algérie française et du nationalisme français au profit du nationalisme algérien». Dans ce sens, la députée algérienne de l’immigration, Chafia Mentalecheta, dénonce «l’existence d’une idéologie colonialiste en France». «Il existe toujours une stigmatisation des Algériens, car il y a encore beaucoup de relais colonialistes parmi l’élite politico-médiatique française», a-t-elle lancé.

Une reconnaissance insuffisante

La députée, qui œuvre, par ailleurs, au sein du Parlement algérien à la reconnaissance de la qualité de martyr à toutes les victimes du massacre du 17 Octobre, a exprimé son souhait que l’école française s’occupe aussi du travail de mémoire concernant le passé colonial de la France en Algérie. De leur côté, Mehdi Laloui et Samia Messaoudi, militants de première heure pour la reconnaissance du 17 Octobre par l’Etat français, ont  indiqué que «la reconnaissance partielle de la responsabilité de l’Etat français dans ce qui s’est passé en 1961 est une avancée significative. Mais il reste beaucoup à faire».

Les deux compères ont donné des détails sur les conditions dans lesquelles a été rédigé le communiqué du 17 octobre 2012 du président François Hollande. «Nous nous sommes déplacés à l’Elysée avant le rassemblement annuel au Pont Saint-Michel. Nous avons demandé à être reçus par le président Hollande pour lui rappeler son engagement électoral. Il recevait son homologue colombien. Le protocole présidentiel nous a proposé d’être reçus par le ministre de l’Intérieur mais nous avons refusé», ont-ils précisé. Après leur insistance, le président Hollande a envoyé le fameux communiqué à l’AFP. «Cela s’est fait vraiment à la dernière minute», lance notre consœur de Beur FM, Samia Messaoudi. «Maintenant, il faut aller un peu plus loin. Dites-nous clairement qui sont les tueurs ? Qui sont les responsables de ce massacre ? C’est la seule manière de rétablir la justice et la vérité», réplique l’écrivain et cinéaste, Mehdi Laloui.

Leur emboîtant le pas, Nacer Kettane, directeur de Beur FM, demande d’ouvrir les archives françaises et d’enseigner les grands épisodes de la guerre d’Algérie à l’école pour réconcilier la France avec sa mémoire. «Nous profitons aussi de cette occasion pour lancer un appel-manifeste pour la réconciliation entre les deux pays. Faisons de la commémoration du 17 Octobre un pas vers cette réconciliation. Nous espérons qu’on donnera simultanément le nom du 17 Octobre 1961 à deux grandes places publiques à Paris et à Alger», a-t-il conclu.
Ce colloque était aussi une occasion de rendre hommage aux militants français, majoritairement communistes, dans les rangs du FLN. Il s’agit notamment d’Henri Alleg, Jean-Luc Einaudi, Jean-Louis Hurst, Maurice Audin et Elie Kagan.

Ce dernier est connu pour être le premier à avoir diffusé les images de la répression sanglante de la marche du 17 Octobre 1961 par la police de Maurice Papon. «Les premières images de Kagan ont été publiées par L’Humanité.  Chacun de ces jeunes militaient à sa manière contre le colonialisme. Cette forme de colonialisme que nous avions connue dans le passé n’existe plus mais elle pèse encore sur nous», a souligné Patrick Le Hyaric, député européen et directeur de L’Humanité, faisant la transition pour dénoncer une «nouvelle forme de néocolonialisme». Invitée à faire la conclusion de la journée de discussions, la vice-présidente du Sénat, Bariza Khiari, a su le faire en une phrase : «Je crois qu’un Etat ne peut que grandir en reconnaissant ses torts».

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