La santé des prostituées s’est dégradée depuis la loi sur le racolage passif (Le Monde, 18 déc. 2012)

La santé des prostituées se dégrade, elles subissent de plus en plus de violences, et les associations qui leur viennent en aide ont vu leurs moyens fondre ces dernières années. Tels sont les principaux constats formulés par l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), qui devait remettre à Najat Vallaud-Belkacem, mardi 18 décembre, un rapport sur le sujet.

La ministre des droits des femmes maintient que la gauche légiférera sur la prostitution, soit par un projet de loi, soit par une proposition des parlementaires, et affirme qu’elle s’inspirera des recommandations de l’IGAS. Elles constituent « l’un des éléments » du futur plan visant « à lutter contre la prostitution et à mieux protéger les personnes prostituées », a déclaré au Monde Mme Vallaud-Belkacem.

L’IGAS rappelle qu’elle se situe sur le terrain sanitaire et ne prend pas ouvertement parti dans le débat sur la nécessité ou non de pénaliser les clients de prostituées. Cependant, la mission souligne que « l’isolement et la clandestinité apparaissent comme des facteurs d’aggravation des risques en même temps qu’ils restreignent les possibilités d’accès aux dispositifs et moyens de prévention ».

ÉLOIGNÉES DES ASSOCIATIONS

Le rapport cite par exemple les effets de la loi de 2003 sur le racolage passif, qui a conduit les personnes prostituées à travailler dans des endroits moins accessibles qu’auparavant. Cet éloignement a distendu les contacts avec des associations qui constituent souvent l’unique point d’accès aux soins et à la prévention des infections sexuellement transmissibles (IST) pour les prostituées de rue. Mme Vallaud-Belkacem rappelle que le gouvernement s’est engagé à supprimer cette disposition dans la future loi. Lundi, la sénatrice Europe Ecologie-Les Verts Esther Benbassa a promis de présenter une proposition de loi abrogeant ce délit, après avoir retiré un texte similaire en novembre.

L’IGAS met en garde contre un écueil : considérer la prostitution comme un tout. « Le fossé est grand entre l »escort’ travaillant à son compte en appartement et pratiquant des tarifs suffisamment élevés pour déterminer son niveau d’activité et choisir ses clients (…), et l’étrangère sans papiers qui, travaillant dans la rue, doit faire le plus grand nombre de passes à quelques dizaines d’euros pour payer sa dette au réseau qui l’exploite, et assurer sa survie, voire celle de sa famille », relèvent les auteurs.

LA MENACE DU VIH

Cependant, toutes les personnes prostituées sont soumises à des risques sanitaires accrus, même si ceux décrits se rapportent souvent à la prostitution de rue, la mieux connue.

Le VIH fait partie de ces menaces. « On trouve dans la file d’attente de l’Amicale du Nid des prévalences de 3 % chez les femmes, 15 % chez les hommes, et 26 % chez les personnes transsexuelles », relèvent les inspecteurs. « Alors que le risque de VIH et d’IST est habituellement imputé aux personnes qui se prostituent, plusieurs études concluent que les clients eux-mêmes représenteraient un haut niveau de risque avec des prévalences supérieures à la population générale », poursuivent-ils.

NOMBREUSES PATHOLOGIES

Les demandes de rapports non protégés sont en recrudescence, et parfois acceptés. En cause : la précarité, des habitudes prises par des clients réguliers, un regain de concurrence « lié à l’accroissement de l’offre prostitutionnelle dans un contexte de crise ». Mais les personnes qui se prostituent dans la rue sont victimes de bien d’autres pathologies : problèmes respiratoires, dermatoses, pathologies hépatiques, troubles musculo-squelettiques, troubles psychiques…

La violence fait également partie du « paysage de la prostitution, quels qu’en soient la forme et le mode d’exercice ». Pour une part importante, elle vient des clients. Elle provient aussi des proxénètes et des réseaux, des prostituées entre elles, des « prédateurs qui voient en elles des porteuses d’argent liquide », des passants et des riverains.

Les associations spécialisées ont développé « un modèle d’intervention adapté » en allant à la rencontre des prostituées, affirme l’IGAS. Mais les crédits publics qui leurs sont alloués sont passés de 6,7 millions d’euros en 2006 à 2,2 millions en 2011. Et la mission estime que leur action pâtit du manque d’un cadre cohérent d’action.

Gaëlle Dupont

86 % des prostituées chinoises victimes de violences

Médecins du monde (MDM) a publié, le lundi 17 décembre, une enquête qui met en lumière les violences subies par les prostituées d’origine chinoise rencontrées à Paris dans le cadre de son programme Lotus Bus.

De 2010 à 2012, 86 % des femmes interrogées par l’association ont été confrontées à une ou plusieurs formes de violence : rapports sans préservatif contraints, violences physiques, viols, séquestrations et menaces de mort. Seules un tiers d’entre elles ont consulté un médecin par la suite, et seule une sur cinq dépose plainte après une agression. 74 % ont été arrêtées pour racolage passif dans les douze mois précédant l’enquête. Chacune a été arrêtée en moyenne six fois. MDM demande l’abrogation de ce délit et rejette « par avance » tout projet de criminalisation des clients « qui reléguerait les personnes se prostituant dans des zones de non-droit ».