Mesure phare de la proposition de loi sur la prostitution, la pénalisation des clients a été supprimée par la commission spéciale du Sénat, qui a considéré qu’elle serait inefficace pour lutter contre les réseaux mais précariserait davantage les prostituées.
Au terme d’un intense débat, les 37 membres de cette commission qui examinaient la proposition de loi renforçant la lutte contre la prostitution ont adopté mardi soir le texte tout en le privant de son article principal, qui prévoyait de punir l’achat d’actes sexuels d’une contravention de 1.500 euros. Le stage de sensibilisation pour les clients interpellés a aussi été supprimé.
L’idée de sanctionner le recours à une prostituée avait déjà fait l’objet de vifs débats lorsque le texte avait été adopté en décembre par l’Assemblée. Dans un «manifeste des 343 salauds», des personnalités comme Frédéric Beigbeder ou Basile de Koch avaient défendu leur droit à recourir à une prostituée.
La suppression de la pénalisation des clients a été adoptée par 16 voix pour (12 contre et 2 abstentions), mais a divisé les groupes politiques, a expliqué mercredi à la presse le président de la commission, le sénateur PS Jean-Pierre Godefroy.
Le nouveau texte confirme aussi l’abrogation du délit de racolage et renforce les mesures d’accompagnement social et professionnel pour celles qui veulent quitter la prostitution. Elles pourront profiter d’une identité d’emprunt et les étrangères bénéficieront plus facilement d’une autorisation de séjour. Et l’intégralité des sommes confisquées aux réseaux de traite abondera un fonds d’aide aux prostituées.
La pénalisation des clients est le seul point qui a «réellement divisé» la commission, a confirmé sa rapporteur, la sénatrice socialiste Michèle Meunier, qui s’est abstenue sur cet amendement, même si elle était «favorable à cette nouvelle incrimination». Mais «la majorité des membres a considéré qu’elle risquait de dégrader la situation sanitaire et sociale» des prostituées.
« Distorsion juridique »
M. Godefroy, qui n’a pas caché ses réserves sur cette partie du texte au cours des cinq mois de travail de la commission, a rappelé qu’un grand nombre d’associations (Médecins du Monde, Aides et plusieurs associations de prostituées) avaient évoqué, lors d’auditions, leur crainte de voir les prostituées encore plus à la merci des clients et dans la clandestinité.
De plus, selon les services de police et de justice auditionnés, sanctionner les clients va «compliquer le travail sans aider à l’arrestation des réseaux», a-t-il expliqué.
Et alors que la prostitution est légale en France et que la proposition de loi prévoit de ne plus pénaliser le racolage, «il nous a semblé qu’il y avait une distorsion d’ordre juridique» à sanctionner le recours à une prostituée, a-t-il conclu.
Le texte s’inspirait de l’exemple suédois qui pénalise les clients depuis 1999, mais qui «ne fonctionne pas», a affirmé la députée EELV Esther Benbassa, rappelant que Danemark et Ecosse avaient également renoncé à cette solution.
Le Syndicat du travail sexuel (Strass) a salué une décision qui «a pris en compte la parole des premières concernées».
Pour les partisans de la pénalisation, dont la ministre des Droits des femmes Najat Vallaud-Belkacem, ceux qui ont recours à la prostitution ne doivent pas ignorer qu’ils alimentent les réseaux criminels. «Si la loi ne prend pas en compte la nécessité de réduire la demande autant que les autres aspects, elle ne sera pas efficace», a réagi la députée PS Maud Olivier, auteur de la proposition de loi.
L’association Osez le féminisme! a regretté que la commission «entérine le fait que les clients prostitueurs ne sont pas responsables» et le Haut Conseil à l’égalité homme-femme a invité les parlementaires à «redonner à ce texte progressiste son équilibre et sa cohérence».
La pénalisation des clients peut encore revenir par un amendement en séance au Sénat. «Il sera présenté en séance, nous sommes prêts», a assuré M. Godefroy, qui demandera son inscription à l’ordre du jour dès la rentrée parlementaire d’octobre.
Pour (re)lire l’article sur le Bien Public, cliquez ici!