La naturalisation des descendants de juifs expulsés d’Espagne en 4 questions (l’Express, 11 février 2014)

Par Catherine Gouëset :

L’annonce, vendredi, d’un projet de loi permettant aux descendants de juifs espagnols expulsés par les rois catholiques au Moyen-Age d’acquérir la nationalité espagnole suscite l’enthousiasme en Israël.

L’annonce par l’Espagne du dépôt d’un projet de loi permettant la naturalisation des descendants de juifs expulsés du pays en 1492 a reçu un accueil enthousiaste en Israël.

Peu après l’annonce, vendredi, de cette mesure, promue par le ministre de la Justice Alberto Ruiz Gallardón, les consulats de Tel Aviv et de Jérusalem ont été assaillis de demandes de renseignements, selon la presse espagnole et israélienne.

Qui sont les personnes concernées?

Le projet de loi vise à modifier le Code civil pour faciliter l’obtention de la nationalité espagnole, quel que soit le pays d’origine, dès lors que la personne peut prouver qu’elle est issue de la communauté séfarade, notamment par un certificat de l’Etat civil ou d’un rabbin.

Le fait d’être séfarade est reconnu comme « circonstance exceptionnelle de lien avec l’Espagne » qui donne droit à une naturalisation. Il suffira de prouver son lien avec la péninsule ibérique via la langue, le nom et la culture. Toute personne concernée pourra conserver sa nationalité d’origine alors qu’une loi précédente demandait aux personnes originaires de certains pays d’y renoncer.

L’enthousiasme suscité par cette mesure ne relève pas que de l’attachement des personnes concernées à leurs racines historiques, souligne le quotidien espagnol ABC. Il s’agit pour une partie des personnes intéressées d’obtenir un passeport européen. « Cela leur permettra de circuler plus facilement sur le continent », estime également Esther Benbassa, spécialiste d’histoire des juifs et d’histoire comparée des minorités, contactée par L’Express.

Qui sont les séfarades?

En 1492, les Rois catholiques, Isabelle de Castille et Ferdinand d’Aragon, après avoir chassé le dernier souverain musulman de la péninsule (la reconquista), ont ordonné l’expulsion de tous les juifs qui refusaient de se convertir au catholicisme. L’estimation du nombre de juifs expulsé d’Espagne varie de à 60.000 à 100.000. Ils se sont installés au Maroc, en Italie, en Turquie, dans les Balkans, au Levant…

« Ma génération parlait judéo-espagnol, se souvient Esther Benbassa, elle-même séfarade née à Istanbul. Mais notre relation à l’Espagne était plutôt abstraite. Elle passait surtout par la langue, les chansons, et la cuisine » explique la sénatrice.

Une liste de 5200 noms séfarades a été diffusée dans la presse israélienne, parmi lesquels les noms d’Attias, Bitton, Bloch, Medina, Moreno ou Toledano.

Combien de candidats potentiels?

Tout dépend si l’on se limite aux personnes ayant « relation spéciale avec l’Espagne », selon les termes du ministère, ou si la mesure est élargie à tous les descendants des judéo-espagnols. La presse espagnole et la presse israélienne évoquent 3,5 millions de personnes concernées. mais Alberto Ruiz-Gallardon avait semblé, lors de la première évocation de ce projet en 2012, viser les locuteurs du dialecte judéo-espagnol, le ladino, soit quelque 150.000 personnes. Un chiffre confirmé par Esther Benbassa. « Mais il n’y aura pas de retour massif », assure-t-elle.

Pourquoi une telle loi?

« Au début du vingtième siècle, déjà, l’Espagne avait envisagé une telle mesure », rappelle l’historienne. Le gouvernement espagnol agit en partie pour des raisons de marketing, d’affichage. L’Espagne redeviendrait le pays des trois religions qu’il était au moyen-âge [christianisme, judaïsme, islam]. »

Le projet de loi annoncé devrait être voté sans problème par le parlement: le Parti populaire (droite) qui en est l’auteur, dispose de la majorité absolue au Parlement.
Pour (re) lire cet article sur le site de l’Express, cliquez ici.