‘La loi hésite à faire payer le client’ (Libération, 11 juillet 2014)

Analyse. Des sénateurs viennent de gommer la pénalisation des clients du texte de loi sur la prostitution. Le principe, cher au camp des abolitionnistes, est jugé inefficace voire dangereux par des associations de terrain.

Par WILLY LE DEVIN

Pénalisera ? Pénalisera pas ? L’arlésienne autour de l’article 16, le plus polémique de la proposition de loi dédiée à la lutte «contre le système prostitutionnel», se poursuivra encore quelques mois dans les couloirs du Parlement. Mardi, la commission spéciale du Sénat, composée de 37 membres et chargée d’élaborer une mouture qui pourrait être débattue cet automne en séance plénière, a voté pour le retrait de la pénalisation des clients, au grand dam de la ministre des Droits des femmes, Najat Vallaud-Belkacem (lire page 4).

Cette suppression intervient après de longs mois d’études, de consultations et de visites sur le terrain. Un travail minutieux dont se félicite Maîtresse Gilda, porte-parole du Syndicat du travail sexuel (Strass) : «La commission spéciale du Sénat aura pris le temps d’écouter tous les points de vue, de prendre en compte les avis des institutions nationales et internationales de santé et de défense des droits humains, ainsi que les preuves disponibles sur les effets néfastes de la pénalisation. Surtout, elle aura pris en compte la parole des premièr(e)s concerné(e)s, à savoir, nous, les travailleur(euse)s du sexe.»

«Illogisme». Voilà plus d’un an qu’un débat passionné autour de cette mesure, jugée «moralisatrice et contre-productive» par les réglementaristes – partisans d’un encadrement -, «symbolique et incontournable» par les abolitionnistes, fait chauffer les hémicycles. Le 4 décembre, l’Assemblée avait pourtant adopté en première lecture, à 268 voix pour, 138 contre et 79 abstentions, un texte qui comportait la pénalisation des clients. Mais, déjà, les rapporteurs Maud Olivier (PS) et Guy Geoffroy (UMP) avaient dû mettre de l’eau dans leur vin. Dans la version initiale, les clients de prostitués devaient écoper d’une contravention de 5e catégorie (1 500 euros) puis, en cas de récidive, d’une peine de prison avec sursis. Après examen par les députés, la peine de prison a sauté, remplacée par une amende rehaussée à 3 750 euros.

Plus la navette parlementaire avance, plus la pénalisation des clients y laisse des plumes. Mardi, ce fut donc au tour de Jean-Pierre Godefroy, président (PS) de la commission spéciale du Sénat, de faire part de ses réserves. Désavouant sa consœur socialiste et rapporteure, Michelle Meunier, il s’est opposé à un article qu’il qualifie «d’illogisme juridique». «D’une part, nous abrogeons le délit de racolage, ce qui revient à autoriser la prostitution, et, d’autre part, nous pénalisons des personnes ayant recours à des actes sexuels. C’est incompréhensible», a-t-il estimé. A cela s’ajoute une quasi-impossibilité de caractériser le délit. Car pour que le client soit puni, il faudra qu’un policier surprenne la transaction en flagrant délit. A moins d’armer la police, par ailleurs déjà fortement occupée, de jumelles, on ne voit pas très bien comment les pouvoirs publics vont s’y prendre.

En Suède, pays cité constamment comme référence par Najat Vallaud-Belkacem, seuls 450 clients ont été pénalisés depuis l’entrée en vigueur de la loi en 1999. Pour Esther Benbassa, sénatrice EE-LV, c’est bien la preuve «d’un article gadget, relevant plus de l’idéologie que de la volonté de protéger les prostituées». Selon elle, la pénalisation des clients donnerait à la proposition de loi «un caractère prohibitionniste et non abolitionniste.»…

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