Après celles de Paris, les attaques terroristes perpétrées à Copenhague témoignent du caractère transeuropéen du radicalisme islamique qui les a inspirées, autant que de l’antisémitisme à l’œuvre au sein de cette mouvance. En l’occurrence, la haine de la liberté d’expression paraît inséparable de la haine des juifs.

En Europe, l’antisémitisme a longtemps été l’apanage de majorités dressées contre une minorité, et finalement l’apanage des Etats, avec les conséquences que l’on sait : l’annihilation de six millions de juifs. Celui que nous devons combattre aujourd’hui est autre : il est le fait d’un groupe lui-même minoritaire, dont certains éléments, passés au radicalisme islamiste, poussent leur détestation des juifs jusqu’au meurtre.

L’histoire des Danois musulmans et celle des Danois juifs ne se sont jamais croisées. Rien de comparable là-bas au contentieux colonial français. Juifs et musulmans d’origine maghrébine ont cohabité hier au Maghreb, et cohabitent aujourd’hui dans les grandes villes françaises. Cette toile de fond, lourde de tensions, n’existe pas au Danemark.

IDÉAL DE MORT

Si le terrorisme islamique est international, l’antisémitisme qu’il nourrit l’est autant. Aucune ségrégation, discrimination, humiliation locale ne justifie l’engagement au service d’un idéal de mort. Et il est remarquable que nous peinions à trouver les bonnes formules aussi bien pour endiguer ce terrorisme que pour contrer l’antisémitisme qu’il cultive.

Une action de prévention est certes nécessaire et urgente à tous les niveaux, y compris à travers une réorganisation de l’islam (en France au moins). Il convient aussi d’œuvrer pour une meilleure efficacité de nos services de sécurité, et de penser la lutte contre ces fléaux au niveau international.

Le radicalisme islamique qui sert de fabrique au terrorisme reste néanmoins peu compréhensible à une société sécularisée comme la nôtre. Car si les endoctrineurs sont d’abord des politiques, les endoctrinés, eux, qui passent à l’action en Europe, évoquent plutôt ces millénaristes que toutes les traditions religieuses ont connus à un moment ou un autre de leur histoire.

Par ailleurs, les outils que nous avons en main suffiront-ils à faire reculer l’antisémitisme qui ronge des pans entiers de notre société ? C’est peu probable, au moins à court terme.

MÉCANIQUE PERVERSE

La non-résolution du conflit israélo-palestinien ne facilite pas les choses. Ce conflit a servi pendant des décennies, aux gouvernements arabes, à détourner l’attention de leurs peuples de l’essentiel des maux économiques et sociaux qui les frappaient. La fondation d’Israël, l’humiliation des défaites subies par les pays arabes expliquaient tout. Là était l’ennemi.

Les maîtres endoctrineurs d’aujourd’hui n’ont eu qu’à recycler ce vieil alibi-obsession, en lui donnant un tour religieux et «messianique». Et la diabolisation d’Israël, et au-delà des juifs, tourne à plein régime, la charge émotionnelle des centaines de victimes palestiniennes des derniers conflits à Gaza jouant en l’occurrence son rôle.

Est-il aisé de bloquer cette mécanique perverse? Comment contre-t-on une lecture «littéraliste» et décontextualisée du Coran justifiant une hostilité antijuive absolue ? Comment lutte-t-on contre la recherche de communion avec Dieu, contre une quête de félicité passant par l’apocalypse ?

DOUBLEMENT OTAGES

Quoi qu’il en soit, les juifs, dans ce combat, sont malgré eux en première ligne. Nos jihadistes, s’ils se lancent dans des actions meurtrières destinées à «venger» le traitement blasphématoire dont leur Prophète serait l’objet, donnent d’un même mouvement libre cours à une haine anti-israélienne et antijuive sans borne.

Les juifs sont les otages de radicaux qui les identifient aux Israéliens et prétendent les assassiner pour «venger» les malheurs de la Palestine. La signature d’une paix entre Israéliens et Palestiniens porterait assurément un coup à cette focalisation. Mais une telle paix ne suffira pas, d’emblée, à tarir la source de cet antisémitisme. Il y faudra du temps.

Cela dit, les juifs sont doublement otages. Car ils le sont aussi du gouvernement israélien d’extrême droite dirigé par Benjamin Netanyahou, qui non seulement bloque tout processus de paix, mais appelle de surcroît les juifs de France et d’Europe à émigrer en Israël.

NETANYAHOU EN CAMPAGNE

Pire, ce gouvernement joue cyniquement sur l’héritage émotionnel et mémoriel douloureux des juifs d’Europe, qui ont connu la Shoah, ainsi que sur celui de nombre de juifs de France, que les indépendances au Maghreb ont poussés à des exils précipités. Au point que bien des juifs français se demandent effectivement s’il ne faut pas partir avant qu’il ne soit trop tard.

Le contexte actuel n’a rien à voir avec celui des années 1930. La France est plus que jamais déterminée à protéger ses citoyens juifs. Mais la peur est là. Les appels répétés de Netanyahou instillent l’idée que les juifs français ne sont pas des Français comme les autres.

Les institutions juives de France elles-mêmes auraient intérêt à infléchir leur discours. Leur rôle n’est pas de verser dans le catastrophisme, ni de servir les intérêts d’un État d’Israël hanté par son problème démographique, ou ceux d’un Netanyahou en campagne, instrumentalisant sans vergogne les peurs des juifs d’ici.

La place des juifs européens est en Europe, à la civilisation de laquelle ils ont amplement contribué et où ils vivent depuis des siècles. Mais combien de temps tiendront-ils, contraints, à la fois par les terroristes islamistes et par Netanyahou, à une instabilité existentielle douloureuse? Retissons au plus vite les liens entre Français musulmans et Français juifs. Ne laissons pas la peur gagner. Le temps de la résistance a commencé.

 

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