Jérusalem dans 50 ans (L’Histoire, juillet 2012)

Le numéro de L’Histoire daté de juillet 2012 est entièrement consacré à Jérusalem, l’invention d’une ville sainte. La rédaction du magazine à demandé à six personnalités de se risquer à imaginer l’avenir de la ville: Hubert Védrine, Esther Benbassa, Vincent Lemire, Zeev Sternhell, Elias Sanbar et Orly Castel-Bloom. Voici la contribution d’Esther Benbassa

« La citadelle de l’orthodoxie juive »

Par Esther Benbassa

Directrice d’études à l’École pratique des hautes études (Sorbonne)

L’avenir de Jérusalem se dessine déjà dans son présent. Avec le retour à une orthodoxie juive toujours plus radicale, cette ville, largement peuplée de religieux, pourrait bien se transformer en une immense cité ghettoïque.

Débordant considérablement sur les Territoires palestiniens, je la vois se replier toujours plus sur elle-même, les seuls apports extérieurs étant les Juifs orthodoxes venant des États-Unis ou de France pour y vivre une vie juive conforme aux traditions ancestrales. On peut imaginer alors un gouvernement orthodoxe ou à majorité orthodoxe gérant la ville, voire le pays, selon les normes strictes du droit religieux juif.

Pourquoi même ne pas voir se lever le projet d’une reconstruction du Temple, le troisième après celui de Salomon, détruit par les Babyloniens, et celui d’Hérode, ruiné par les armées romaines en 70, date de départ du deuxième grand exil juif ? Cette restauration du Sanctuaire et du culte antique, avec ses prêtres, ses sacrifices, ses libations, impliquant la destruction d’édifices musulmans sacrés mosquée Al-Aqsa et Dôme du Rocher, répondrait aux attentes des plus radicaux des extrémistes juifs. Et allumerait inévitablement le feu partout en terre d’Islam…

Ce scénario est l’un des pires qu’on puisse imaginer. Mais l’on n’est pas obligé d’aller jusque-là pour entrevoir la catastrophe. D’un côté, le retour au ghetto, à ce que la Ville et la Terre saintes ont été avant la création de l’État d’Israël. De l’autre, Jérusalem éternelle pomme de discorde, alors qu’elle pourrait aussi être le symbole de la paix, d’une cohabitation des trois monothéismes et de toutes les aspirations humanistes, religieuses ou laïques.

Le règlement de la question palestinienne et la restitution des territoires annexés sont seuls susceptibles de rendre possible l’émergence d’une nouvelle dynamique politique, capable d’enrayer la montée des extrémismes religieux. Dans un contexte moyen-oriental où l’islam rigoriste domine, y compris après les « printemps arabes », ce ne serait hélas une surprise pour personne que Sion se transforme en citadelle de l’orthodoxie juive.