« Islam de France: pourquoi le choix de Jean-Pierre Chevènement pose problème » (Challenges, 5 août 2015)

Pressenti pour prendre la tête de la fondation pour l’Islam de France, l’ancien ministre de l’Intérieur ne fait pas l’unanimité. Ses opposants redoutent une mise sous tutelle de l’Islam de France.

Le choix de Jean-Pierre Chevènement pour présider la fondation pour l'Islam de France ne fait pas l'unanimité. THOMAS SAMSON/AFP
 
77 ans, le « Che » s’apprête à reprendre du service. Jean-Pierre Chevènement est pressenti pour prendre la tête de la fondation pour l’Islam de France. C’est François Hollande qui a vendu la mèche mardi soir, à l’occasion de la réception annuelle de la presse présidentielle : il plébiscite la candidature de l’ancien ministre de l’Intérieur. Dans la foulée, Jean-Pierre Chevènement a confirmé avoir été approché en ce sens par Bernard Cazeneuve au mois de mars. Et s’il réserve encore sa décision, les intentions du candidat malheureux à la présidentielle de 2002 font peu de doutes. « C’est une tâche difficile, mais à laquelle on ne peut pas se dérober », a-t-il déclaré mercredi à l’AFP.

En réactivant cette association créée en 2005 par Dominique de Villepin dans le sillage du Conseil Français du culte musulman, François Hollande veut rendre plus transparent le financement de l’Islam en France. Et suspendre, pour un temps défini, le financement étranger de l’Islam de France. Le choix de Jean-Pierre Chevènement pour la présider relève du pragmatisme. Grand commis de l’Etat et passionné des questions de religion, le profil de l’ancien ministre permet d’aller vite. Et de mettre entre parenthèse – pour un temps – les dissensions de la communauté musulmane française, aussi diverse que morcelée.

Un mauvais signal

Aussitôt connue, la préférence du chef de l’Etat a pourtant suscité de nombreux mécontentements. « Personne ne songerait à nommer un chrétien à la tête de la fondation pour le judaïsme », s’indigne ainsi la sénatrice UDI de l’Orne, Nathalie Goulet. Aussi « talentueux » et « expérimenté » que soit Jean-Pierre Chevènement, cette nomination s’apparente « à une sorte de mise sous tutelle« , ajoute-t-elle.« C’est du jamais vu », abonde sa collègue sénatrice EELV Esther Benbassa. « On n’a jamais nommé quelqu’un de l’extérieur à la tête d’une fondation religieuse. Si on avait mis quelqu’un choisi par le gouvernement à la tête du consistoire (institution chargée d’organiser le culte hébraïque, ndlr), vous imaginez le scandale ? »

Les opposants à la nomination de Jean-Pierre Chevènement se gardent bien de critiquer la personne de l’ancien ministre, « grand serviteur de l’Etat », « très respectable », qui « s’intéresse aux religions »… Mais ils s’inquiètent du signal envoyé par ce choix. En imposant une personnalité politique à la tête de la Fondation pour l’Islam, le gouvernement « discrédite à l’avance » la future institution estime Esther Benbassa. « Si ça ne vient pas de l’intérieur ça ne marche pas », explique l’écologiste, ancienne chercheuse en sciences religieuses. Pour Nathalie Goulet, « à chaque fois que le gouvernement intervient, cela déresponsabilise les musulmans ». « Il faut les laisser décider par eux-mêmes », plaide-t-elle.

L’hypothèse Chevènement relève en outre « d’une stratégie de communication » selon Esther Benbassa. « Il s’agit de sécuriser les Français qui ont peur. Mais cela ne fait qu’ajouter de la confusion et créer de la tension à l’intérieur des associations musulmanes ». Pour Nathalie Goulet, l’arrivée de l’ancien ministre de l’Intérieur à la tête de la fondation pour l’Islam participe un peu plus de la « double sincérité » du gouvernement envers la communauté musulmane : « on dit que l’Islam est une religion comme les autres et, dans le même temps, on s’en occupe. Ce n’est pas un signal de confiance à l’égard des musulmans de France ».

Le casse-tête du financement

A son arrivée à la tête de la fondation pour l’Islam, l’ancien fondateur du CERES sera confronté à la question épineuse du financement de la religion musulmane en France. Et, là encore, les signaux sont contradictoires. « Si on doit réactiver (cette fondation) censée collecter des fonds pour l’Islam, alors l’Etat n’a pas à s’en mêler, au titre de la loi 1905 », souligne Nathalie Goulet. Pourquoi alors nommer son président ? Et ce n’est pas le seul problème. François Hollande a écarté tout financement public de l’Islam de France, préférant s’en remettre à des fonds privés. Mais seront-ils suffisant ? Esther Benbassa en doute, et défend l’utilité des financements venus de l’étranger. « L’Eglise russe en France, profite bien de l’argent russe », souligne-t-elle.

Les plus sceptiques espèrent encore un changement de dernière minute. « Vous savez, ça change tous les jours, chaque semaine, chaque mois », avance Esther Benbassa. Nathalie Goulet imagine, elle, la solution idéale : une présidence Chevènement transitoire, qui laisserait rapidement la place à une direction plurielle avec à sa tête une personnalité de confession musulmane. Un compromis qui aurait l’avantage, dans un premier temps, de ménager les sensibilités des communautés musulmanes de France.

S’ils louent la volonté d’organiser l’Islam de France, les opposants à l’arrivée de Jean-Pierre Chevènement s’interrogent sur le timing choisi. Dans un contexte de multiplication des attentats perpétrés au nom de l’Islam, le moment n’est peut-être pas le plus judicieux pour avoir un débat dépassionné sur la religion musulmane. « Tout le monde est dans l’émotion, et on met un couteau sur la gorge des musulmans en leur disant : vous faites ça où vous allez être sujet aux attaques de l’extrême-droite, regrette Esther Benbassa. Ce n’est pas comme ça que l’on va réorganiser l’Islam de France. Et pourtant il en a bien besoin. »

Rossignol est « en dehors des réalités »

Elle s’était étonnée du choix de Jean-Pierre Chevènement pour diriger la fondation pour l’Islam de France, estimant que « le meilleur profil serait une femme ». La ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des Femmes, Laurence Rossignol, s’attire les foudres d’Esther Benbassa. « Elle est complètement en dehors des réalités. Mettre à la tête de la fondation pour l’Islam de France une femme, c’est créer un autre problème », estime la sénatrice écologiste. Et d’enfoncer le clou : « ce n’est pas au gouvernement de dire qui doit être nommé : une femme, un souverainiste… Qu’est-ce qu’elle a à dire sur le sujet Laurence Rossignol ? ». L’intéressée devrait apprécier.