Les 27 pourraient se mettre d’accord « d’ici 8 à 10 jours » pour présenter une série de sanctions à l’encontre des responsables de violences contre les manifestants en Iran, a indiqué au Sénat la ministre des Affaires étrangère Catherine Colonna. Ce mercredi, à l’occasion d’un débat consacré à la protestation qui agite le pays, la plupart des élus ont déploré l’absence de réaction française et européenne.
La France et l’Union européenne sont en train de plancher sur une réponse à la répression mise en place par le régime iranien contre la contestation qui agite le pays depuis plusieurs semaines. « Nous sommes en première ligne pour agir avec les partenaires européens, la réponse doit être à la hauteur de l’enjeu », a expliqué Catherine Colonna, la ministre des Affaires étrangère, ce mercredi 5 octobre devant le Sénat. « En ce sens nous avons lancé la semaine dernière des travaux afin de sanctionner les auteurs de la répression : il s’agira de geler les avoirs et d’interdire de voyager aux individus identifiés comme responsables des violences », a précisé la cheffe de la diplomatie française en clôture d’un débat organisé par la Chambre haute sur la situation en Iran.
À la tribune, de nombreux élus se sont étonnés du silence de la France alors qu’un mouvement d’ampleur ébranle le régime islamiste depuis près de trois semaines. Le 16 septembre, l’étudiante iranienne Mahsa Amini est décédée pendant sa garde à vue. Elle avait été interpellée trois jours plus tôt par la police des mœurs au prétexte qu’elle avait « mal mis » son voile, dont le port est obligatoire pour les femmes depuis 1983. Dans la foulée, des manifestations ont éclaté à travers le pays. De nombreuses vidéos diffusées sur les réseaux sociaux montrent des manifestantes retirant leur hijab avant de se couper les cheveux en signe de protestation.
« Les revendications dépassent la seule question du port du voile, ce sont désormais le guide suprême et le régime qui sont remis en question », a observé la sénatrice Esther Benbassa. « Que fait la France ? Notre président de la République se drape dans un silence opportuniste. On ne touche pas trop à l’Iran, utile en cette période de guerre à l’est avec le probable retour sur le marché international de ce grand vendeur de pétrole. Lors de son entretien à New York avec Ebrahim Raïssi [le président iranien, ndlr], Emmanuel Macron a juste demandé une enquête transparente sur cette mort, les échanges se concentrant sur le dossier du nucléaire iranien », s’est agacée l’élue. Elle a appelé « à faire pression sur l’exécutif pour le sortir de sa frivolité », saluant l’initiative d’une cinquantaine d’artistes, chanteuses, et actrices françaises, qui affichent leur soutien aux femmes iraniennes à travers une vidéo où elles se filment en train de se couper des mèches de cheveux.
La chanson « Baraye » de Shervin Hajipour diffusée à la tribune
Même agacement du côté de Mélanie Vogel, sénatrice EELV des Français établis hors de France. « Cela fait 19 jours qu’un régime est en train de massacrer son peuple et, aujourd’hui, pas grand-chose ! Les négociations sur le nucléaire iranien continuent comme si de rien n’était, il n’y a pas au niveau européen de nouvelles sanctions », a-t-elle regretté. L’élue a notamment cité les paroles de la chanson « Baraye » de l’artiste Shervin Hajipour – « formée à partir de tweets postés par celles et ceux qui se dressent contre l’oppression » -, et visionnée près de 40 millions de fois sur Instagram. Le chanteur a lui-même été arrêté la semaine dernière puis libéré sous caution. Mélanie Vogel a clôturé son intervention en diffusant un extrait du morceau via son smartphone. Une scène rare dans l’enceinte feutrée de la Haute Assemblée, et certainement l’un des moments forts de ce débat.
« Pas un mot de soutien, pas un appel contre la mollarchie et sa police des mœurs » : Claude Malhuret tacle la gauche
Avec sa verve habituelle, Claude Malhuret (horizons), a élargi les accusations de silence à la gauche. « Depuis le début de la révolte en Iran et jusqu’à la manifestation de dimanche dernier à Paris, les professionnels de l’indignation, ceux qui battent le pavé chaque semaine pour crier que la police tue ou dénoncer le racisme systémique, avaient disparu. Où étaient-ils lors des deux premiers rassemblements en soutien des femmes iraniennes ? », a-t-il interrogé depuis la tribune. « Pas un mot de soutien, pas un appel contre la mollarchie et sa police des mœurs. Pendant qu’à Téhéran les femmes meurent sous les coups et sous les balles, ils semblent juger plus urgent de dénoncer le virilisme du barbecue, de faire l’éloge d’un gifleur, ou de juger les harceleurs dans des comités de transparence qui sont l’oxymore le plus grotesque inventé depuis la dictature du prolétariat. »
De son côté, Samantha Cazebonne, sénatrice LREM, a tenu à rappeler « que 1 500 de nos concitoyens vivent en Iran ». « Parmi eux, 80 % sont binationaux. Or l’Iran ne reconnaît pas cette double nationalité, ce qui veut dire qu’ils ne peuvent pas bénéficier de l’assistance consulaire de la France », a-t-elle alerté.
Catherine Colonna s’est défendue en rappelant que « dès le 19 septembre la France a condamné avec la plus grande fermeté les violences ayant entraîné la mort de Mahsa Amini et la violence utilisée contre les manifestants ». « Nous avons appelé les autorités iraniennes à respecter le droit au rassemblement et à manifester pacifiquement, ainsi que le droit pour les journalistes d’exercer leur métier. Nous l’avons fait officiellement et je l’ai fait auprès de la presse en marge de l’Assemblée générale de l’ONU à New York et, ici en France, à plusieurs reprises », a-t-elle soutenu.
« Une insurrection générationnelle qui mobilise une grande partie de la population »
Ce mercredi, les élus se sont tous accordés à travers leurs prises de parole pour voir dans la contestation iranienne, au-delà du mouvement féministe, une remise en cause profonde de la dictature des mollahs, qui a supplanté depuis 1979 celle du Shah. « L’Iran connaît de profondes mutations. Urbanisé, sécularisé, son peuple n’a cessé d’élever son niveau d’éducation, en particulier chez les femmes, quand ses structures politiques se sont fossilisées », a analysé le communiste Pierre Laurent. « C’est une révolution féministe qui a émergé. Elle entraîne une insurrection générationnelle qui mobilise une grande partie de la population », a salué la socialiste Laurence Rossignol, estimant que « les femmes [étaient] le ferment de cette révolution ».
« À ce jour, les ONG font état de plus de 100 victimes – sans doute le chiffre est-il supérieur – et de l’arrestation de plus de 1 000 militants et militantes, d’avocats, de journalistes, de citoyens unis par la même volonté d’émancipation », a précisé Catherine Colonna.