Prise de parole à l’article 1 :
Monsieur le Président,
Monsieur le Président de la Commission des lois,
Mes cher.e.s collègues,
Le présent article vise à instaurer un contrôle des effets personnels de passants lors des manifestations, une mesure conditionnée à l’existence de troubles à l’ordre public.
Cet article prévoit en outre la mobilisation des agents de la police judiciaire chargés de procéder aux contrôles administratifs.
Cette mesure coercitive, en plus de conférer un pouvoir arbitraire aux forces de l’ordre, est contraire aux libertés fondamentales.
Ce contrôle est de surcroît impraticable et populiste. Impraticable, car l’examen d’un rassemblement de 25000 personnes durerait des heures. Populiste, car l’Etat suggère qu’avec ce procédé, nous pourrions endiguer les violences.
Une telle mesure avait déjà été condamnée par la Cour européenne des droits de l’Homme, dans la jurisprudence Austin contre Royaume Uni du 15 mars 2012 et à laquelle je souhaite vous faire la lecture des motifs :
« Compte tenu de l’importance fondamentale de la liberté d’expression et de la liberté de réunion dans toute société démocratique, les autorités nationales doivent se garder d’avoir recours à des mesures de contrôle des foules afin, directement ou indirectement, d’étouffer ou de décourager des mouvements de protestation »
Mes chers collègues, pour le faits de quelques casseurs, nous cherchons à dissuader les Français de se mobiliser, alors que toutes nos libertés sont nées dans la rue.
Le contrôle des foules est un procédé liberticide. Si nous ne nous opposons pas à une telle mesure répressive, la France pourrait subir une énième condamnation de la Cour Européenne des droits de l’Homme.
Parce que le droit de manifester est consubstantiel à l’exercice d’une citoyenneté et d’une société démocratique en bonne santé, nous ne saurions tolérer l’autoritarisme et la répression des cortèges.
Je vous remercie.
Défense de l’amendement de suppression à l’article 3 :
Monsieur le Président,
Monsieur le Président de la commission des Lois,
Mes cher.e.s collègues,
L’article 3 de la proposition de loi qui fait aujourd’hui l’objet de nos débats tend à la création d’un fichier de personnes interdites de manifestations.
Avec cette mesure, deux écueils se posent à nous.
Le premier concerne la question du fichage. Au regard de l’histoire de notre Nation, ce procédé ne vous interpelle-t-il pas, mes cher.e .s collègues ? Le régime de Vichy n’a-t-il pas été précurseur en matière de création de registres listant les juifs dès 1940, dont le fameux fichier Tulard, constitué par la Préfecture de police de Paris ? Pour cela et à raison, le Conseil constitutionnel a toujours été réticent à la mise en place de tels listings, en atteste notamment sa décision du 26 mars 2012, contre le fichage de traces biométriques. Nous ne doutons pas que le Conseil retoquera une telle mesure si elle venait à être adoptée par notre Assemblée.
Cet article pose ensuite le principe de la restriction du droit à manifester. Ce droit en France n’est certes pas constitutionnel, mais il est protégé par l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, découlant du principe de la libre manifestation des opinions. Si ce droit a pu être encadré par le passé, notamment en 1934 suite aux manifestations de l’Action française, les actuelles protestations de l’opposition de gauche contre la politique antisociale du gouvernement ne sauraient être assimilées au péril fasciste d’antan.
Cet article est non seulement attentatoire au respect de la vie personnelle et des libertés individuelles, mais il pourrait aussi être frappé d’inconstitutionnalité. D’où cet amendement demandant la suppression du présent article.
Je vous remercie.
Défense de l’amendement de repli à l’article 3 :
Monsieur le Président,
Monsieur le Président de la commission des Lois,
Mes cher.e.s collègues,
Il y a 10 ans, Nicolas Sarkozy proposait le fichage de personnes atteintes de pathologies mentales hospitalisées d’office. Si le Président de la République avait reculé en la matière, le procédé semble toutefois s’être depuis popularisé. Généralisation des passeports biométriques pour les exilés arrivant aux frontières de l’Union Européenne, circulaire Collomb visant au fichage des réfugiés dans les CADA… Ce sont maintenant les manifestants qui sont visés par ce procédé démagogique et populiste.
Par cette mesure, visant à interdire de manière préventive la présence de certains militants à des rassemblements, une atteinte de poids est portée à l’article 9 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen sur la présomption d’innocence.
Ainsi, nous ne pouvons que saluer la volonté de la rapporteure d’avoir cherché à encadrer une telle mesure et remercier la commission des Lois pour son travail tendant à rendre le dispositif initialement proposé moins attentatoire aux libertés fondamentales. Cependant, ces avancées ne sauraient rendre ce texte acceptable.
La commission, afin de se conformer à la loi 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, a demandé à ce que la confection d’un tel fichier se fasse après avis de la CNIL. Une telle solution nous parait bien faible au regard des enjeux. C’est pourquoi nous proposons d’encadrer davantage encore le fichage des manifestants, en confiant celui-ci à un contrôle strict par la CNIL, en coopération avec la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement.
Nous espérons par cette mesure éviter les dérives possibles et peut-être ainsi endiguer les prémices d’une société de contrôle orwelien, où les citoyens ne seront plus libres de leurs opinions.
Je vous remercie.