Intervention en séance lors de la nouvelle lecture de la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel (10 mars 2016)

PPL n° 407 :

renforçant la lutte contre le système prostitutionnel

Discussion générale

Jeudi 10 mars 2016 – 5 minutes

Esther Benbassa, Sénatrice EE-LV

 

Monsieur le Président,

Madame la Ministre,

Monsieur le Président de la Commission spéciale,

Madame la Rapporteure,

Mes ChèrEs collègues,

 

Le 2 octobre 2012, je déposais, au nom du groupe écologiste, une proposition de loi visant à l’abrogation du délit de racolage public.

Depuis ce jour, soit près de trois ans et demi, la question de la prostitution n’a eu de cesse de revenir dans le débat parlementaire.

Déjà par le biais de ma PPL, adoptée par notre Haute Assemblée le 28 mars 2013 puis via la proposition de loi d’initiative socialiste renforçant la lutte contre le système prostitutionnel.

Tout au long du processus parlementaire, chacun aura eu l’occasion de faire valoir ses convictions sur un sujet qui s’est avéré pour le moins passionnel.

Je ne reviendrai donc pas ici sur chaque disposition, j’ai eu de nombreuses occasions de le dire devant vous, mes chèrEs collègues. Ce texte contient de bonnes mesures, utiles aux personnes prostituées. L’abrogation du délit de racolage surtout qui est enfin acquise.

Je crois que chaque parlementaire investi sur ce texte a eu à cœur la protection effective des droits des personnes prostituées, la protection de leur santé et de leur sécurité. Mais chacun à son idée du chemin qu’il faut emprunter et certains ici, ainsi qu’une majorité de nos collègues députés et le gouvernement, estiment que cet objectif de protection pourra être atteint en pénalisant les clients.

Je ne le crois pas, je suis même certaine que cette mesure sera totalement contreproductive. Il s’agit là d’un dogme féministe révolu. Cette certitude est d’abord le fruit d’un long travail mené auprès des premièrEs concernéEs et des associations qui leur viennent en aide.

Alors si j’ai un regret aujourd’hui, ce n’est pas celui d’avoir échoué à convaincre certains d’entre vous, c’est celui que les personnes prostituées n’aient pas été entendues.

Elles n’ont cessé, depuis des années, de clamer leur volonté d’être considérées comme des personnes libres et non d’être infantilisées. Elles ont crié leur colère contre des mesures qui les précarisent et rendent souvent dangereux l’exercice d’une activité qu’elles ont choisie.

Il va de soi que le cas de la traite des femmes est tout à fait différent. Là, il est urgent de mener une campagne efficace contre le proxénétisme. Ce n’est pas en pénalisant les clients qu’on y parviendra. Cette pénalisation revient, dans tous les cas, à punir les personnes prostituéEs.

Je veux aujourd’hui porter encore une fois leur voix, je cite : « cette mesure va renforcer le statut d’inadaptéE  socialE des prostituéEs, statut stigmatisant qui doit être supprimé. Considérer que les prostituéEs doivent être traitéEs comme des mineurEs sans capacité d’exprimer leur consentement, les place dans une catégorie de citoyennEs à part, favorise le stigma et les pratiques de discriminations. Au contraire, nous voulons qu’elles et ils soient protégés par le droit commun. »

Malheureusement il semble que, si le Sénat s’oppose une nouvelle fois à cette disposition, elle sera réintroduite à l’Assemblée Nationale et cette voix, celle des premièrEs concernéEs, n’aura pas été entendue.

Et ce au nom d’une certaine idée de la morale, de ce qui est bien ou mal et en oubliant la réalité. Et la réalité mes chèrEs collègues, c’est que la pénalisation des clients, qui n’est pas encore en vigueur, a déjà eu des effets délétères sur le terrain.

Ce sont les prostituéEs qui le disent et les équipes des associations qui le rapportent, tous ressentent « une tension liée à la concurrence plus marquée du fait de clients devenus plus discrets. Les rendez-vous sont donnés dans des lieux plus isolés, très loin des centres villes, ce qui génère un danger et une peur supplémentaire du fait d’une plus forte clandestinité. On voit se développer par ailleurs de nouvelles méthodes de travail faisant appel entre autres à des intermédiaires et davantage à internet. »

Mais elles doivent probablement se tromper et ne pas comprendre les bénéfices qu’elles/ils tireront bientôt de cette mesure… N’est-ce pas ?

Je vous remercie.