Intervention en séance lors de la discussion générale sur le projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale (29 mars 2016)

Texte n° 492

Projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale

Discussion générale

Mardi 29 mars 2016, 6 minutes

Esther Benbassa, Sénatrice EE-LV

 

Monsieur le Président,

Monsieur le Garde des Sceaux,

Monsieur le Ministre de l’Intérieur,

Monsieur le Ministre des finances et des comptes publics,

Monsieur le Président de la commission des lois,

Monsieur le Rapporteur,

Mes ChèrEs collègues,

 

Le contexte dans lequel nous débattons du présent projet de loi est particulier : il y a une semaine Bruxelles et tout le peuple belge devenaient à leur tour la cible de terribles attaques revendiquées par Daesh. J’exprime une fois de plus ici ma solidarité avec toutes les victimes, celles de Belgique mais aussi celles de Bagdad et de Lahore. La gravité est la même quelle que soit la distance.

Ce texte a été élaboré dans la précipitation, dans un contexte hélas similaire, au lendemain des attentats du 13 novembre dernier, dans l’exacte continuation d’une frénésie législative qui touche aussi bien l’exécutif que l’opposition et dénote d’abord notre faiblesse et notre difficulté à faire face, une faiblesse et une difficulté qu’exploitent d’ailleurs les criminels que nous combattons.

Pendant des années, la gauche s’est élevée contre un mécanisme qu’elle dénonçait en ces termes : « un fait divers, une loi ». Aujourd’hui, notre exécutif a bel et bien mis le doigt puis tout le bras dans ce terrible mécanisme, et nous soumet, à chaque attentat, un, voire plusieurs projets de loi.

On finira par conduire le pays vers un « Etat de surveillance », puisque la sécurité est en train de se transformer en « premier des droits », au mépris de tous les autres, par un empilement de lois liberticides, de surcroît inopérantes. On en vient à confondre le droit à la sûreté, inscrit dans la Déclaration de 1789 en tant que droit humain naturel et imprescriptible, comme d’ailleurs la liberté, avec la sécurité à tout prix.

Or nos concitoyens ont besoin de cette sûreté qui fait le lien entre sécurité et liberté, non de cette sécurité que vous tentez de nous imposer et qui tend à nous faire basculer dans un Etat de contrôle. Or notre Etat de droit n’est pas impuissant. Il est seulement déboussolé par la complexité du phénomène terroriste, la nouveauté de ses manifestations, les failles de ses services de renseignement, le manque de coopération internationale, etc.

Comme l’écrit Mireille-Delmas Marty, « la paix ne se gagnera pas en engageant le monde dans une surenchère répressive sans fin, mais en soumettant les pratiques de surveillance à un contrôle impartial et indépendant ». Seule la réaffirmation constante des principes de l’Etat de droit et de la démocratie peut constituer une réponse forte à des terroristes tentant de les mettre à bas. Nous avons adopté 30 lois « antiterroristes » entre 1999 et 2016. En quoi ont-elles empêché le terrorisme d’opérer avec tant de facilité? N’est-il pas temps de remettre la réflexion au centre ?

Le présent texte est à tous égards emblématique. Il sera examiné en procédure accélérée. Or un projet de loi aussi dense et hybride, porteur de mesures conduisant à introduire dans le droit commun toujours plus d’exceptions et de modifications majeures de notre procédure pénale, ne méritait-il pas que le législateur travaille dans de bonnes conditions, et non dans la précipitation ?

Une fois encore, on nous demande de faire du replâtrage, au lieu de conduire une réflexion d’ensemble sur l’architecture de la procédure pénale et de la sûreté intérieure. Ce replâtrage rassure au mieux des politiciens en quête de gratification immédiate. Comme si une loi de plus, même inutile, vite gravée dans le marbre, suffisait à témoigner de l’effort fait pour protéger la Nation. N’oubliez pas, chers collègues, cette étonnante mention de la « Protection de la Nation » dans l’intitulé de la réforme constitutionnelle qui nous a été soumise récemment.

Comme le souligne la CNCDH dans ses observations, « une réforme de grande ampleur devrait se nourrir des apports de la recherche en sciences sociales (…). Connaître les causes est la première condition de la protection contre la menace ». On en est loin. Ces textes qui nous arrivent en flux continu ne sont que pansements posés sur des plaies vives. Qui n’en resserrent pas moins à chaque fois l’étau sur nos libertés.

Souvenons-nous des mots de Jens Stoltenberg, Premier Ministre norvégien, après l’attentat d’Oslo et le massacre d’Utoya : «Nous ne devons pas renoncer à nos valeurs. Nous devons montrer que notre société ouverte peut faire face à cette épreuve. Que la meilleure réponse à la violence est encore plus de démocratie. Encore plus d’humanité.»

Parce que ce PJL est aux antipodes d’une telle attitude, et répond à la terreur par moins de libertés individuelles et moins de protection des droits fondamentaux, le groupe écologiste s’y opposera.