PJL n° 193:
relatif à la réforme de l’asile
(Procédure accélérée, Nouvelle Lecture)
– Discussion générale –
Mardi 7 juillet 2015
Esther Benbassa, Sénatrice EE-LV
Monsieur le Président,
Madame la Ministre,
Monsieur le Président de la commission des lois,
Monsieur le rapporteur,
Mes ChèrEs collègues,
Peu de mots – mais des mots forts – suffiraient assurément pour exprimer la déception des acteurs du secteur des demandeurs d’asile.
Les événements de ces dernières semaines – l’expulsion des migrants de la Chapelle, puis de la halle Pajol, l’épisode du Bois Dormoy, et tout ce qui a suivi – montrent à quel point ce texte est en-deçà de la réalité vécue, au quotidien, par les personnes dont nous sommes censés parler. Je les ai accompagnés à plusieurs reprises, après avoir constaté que nous, particulièrement au Sénat, avions été plutôt occupés à détricoter le PJL original qui, malgré tout, incluait quelques avancées, mêmes insuffisantes.
Regardons les choses en face au lieu de faire de la politique politicienne en pensant aux prochaines élections comme celles et ceux, surtout, qui ont fait du problème migratoire un programme politique, oubliant qu’il s’agit là d’hommes et de femmes fuyant leur pays pour échapper au pire. Nous savons tous que des migrants économiques se faufilent parmi les demandeurs d’asile. Mais ils ne sont pas nombreux. N’entretenons pas la confusion
Les demandeurs d’asile arrivent en masse. On a bien réussi à loger une partie des expulsés de la Chapelle et de la halle Pajol, et je rends hommage, à cet égard, aux pouvoirs publics, qu’il a toutefois fallu pousser un peu. Le problème n’est pourtant pas résolu et ne le sera pas de sitôt.
Il y a encore dans Paris des regroupements, avec des femmes enceintes à qui on refuse l’accès aux hôpitaux. Des dizaines de dizaines de demandeurs d’asile sont toujours à la rue. Beaucoup ne souhaitent pas rester chez nous, veulent aller ailleurs, et ils ont raison. Facilitons-leur au moins la tâche pour qu’ils rejoignent le pays de leur choix. A Calais, aussi, cessons de faire la police pour la Grande-Bretagne.
L’Europe n’est même pas en mesure de prendre une décision pour se répartir équitablement ces demandeurs d’asile. Elle tergiverse, comme elle l’a fait dans le passé pour d’autres. C’est inadmissible. Et nous, nous allons encore passer des heures, ici même, au Sénat, bien à l’abri, à pinailler sur tel ou tel mot avant de renvoyer le texte à l’Assemblée Nationale.
Il y a urgence, savez-vous ? En cette période de canicule, l’urgence, pour ces personnes en extrême détresse, c’est un toit, de l’eau pour se laver, de quoi manger. Ne pourrions-nous prendre exemple sur ces jeunes, militants, associatifs, simples riverains, qui apportent ce qu’ils peuvent, aident comme ils peuvent, sans compter leur temps. Ceux-là honorent la France. Ceux-là permettent de nous dire que tout n’est pas perdu.
Ce ne sont pas de vaines joutes oratoires, de médiocres calculs politiciens qui sortiront la France de son marasme. Ni qui garantiront un traitement simplement humain aux demandeurs d’asile. Les grandes vacances approchent, n’est-ce pas ? Beaucoup continueront à rester dans la rue.
Je vous appelle, je nous appelle à plus de compassion, à plus de hauteur aussi, et à élaborer un texte digne de la France. Mais je crois que la partie est perdue. Si l’on revenait au moins aux grandes lignes du texte original, on pourrait espérer améliorer un peu le traitement des demandes d’asile en France. Avons-nous donc oublié que ce PJL est une transposition en droit français du régime d’asile européen ? Et que l’objectif n’était pas de rendre notre droit en la matière encore plus restrictif qu’il ne l’est ?
Je ne vous convaincrai sans doute pas. La présidente de la CNCDH le fera-t-elle ? Dans un communiqué de presse publiée après sa visite à Calais le 4 juin dernier, Mme Christine Lazerges déclarait en effet que la délégation qui l’accompagnait avait « été profondément choquée par les conditions inhumaines et indignes dans lesquelles les migrants tentent de survivre. » Et ajoutait : « il est de nos jours intolérable que les 3 000 personnes vivant actuellement sur la lande n’aient accès qu’à un seul point d’eau. Ils vivent sous des cabanes et autres abris de fortune sans accès aux toilettes de 19h à midi le lendemain. Comment peuvent-ils dans de telles conditions faire valoir leurs droits les plus élémentaires. »
Les pouvoirs publics se trouvent indéniablement face à problème humanitaire grave et difficile à régler. Mais sommes-nous là pour leur rendre la tâche plus ardue encore en défigurant ce PJL par pure opposition politique ?
Les résultats de la CMP sont connus, et nous valent le retour du texte au Sénat. Le groupe écologiste et moi-même aurions espéré qu’on aboutisse au moins à un texte viable, plus proche du régime d’asile européen commun, donnant aux pouvoirs publics les moyens d’agir plus vite et aux demandeurs d’entrer dans un processus d’intégration.
Ces conditions ne sont pas remplies. Nous voterons donc contre ce texte tel qu’il a été amendé par le Sénat.