Intervention en séance d’Esther Benbassa sur la proposition de loi visant à faciliter l’expulsion des squatteurs de domicile (10 décembre 2014)

PPL n° 143 :

visant à faciliter l’expulsion des squatteurs de domicile

– Discussion générale –

Mercredi 10 décembre 2014

Esther Benbassa, Sénatrice EE-LV

 

 

 

Monsieur le Président,

Monsieur le Secrétaire d’Etat,

Monsieur le Président de la commission des lois,

Monsieur le rapporteur,

Mes ChèrEs collègues,

 

Nous examinons aujourd’hui la proposition de loi de notre collègue Natacha Bouchart visant à faciliter l’expulsion des squatteurs de domicile.

Le constat des auteurs du texte est clair : notre droit pénal est inadapté à la répression de ce qui est qualifié de « phénomène des maisons et appartements squattés ».

Toujours selon les auteurs de cette proposition de loi, la notion de flagrant délit, qui permettrait une expulsion rapide des occupants sans titre, est difficilement caractérisable et ne peut, de surcroît, plus être caractérisée passé un délai de 48 heures suivant l’intrusion illicite. La police ne peut donc plus procéder à l’expulsion immédiate des squatteurs et il revient au propriétaire ou au locataire du domicile de saisir la justice afin d’obtenir une décision d’expulsion.

Pour pallier cette difficulté, le texte initial de la PPL proposait d’allonger de 48 à 96 heures, la durée pendant laquelle le flagrant délit d’occupation sans titre d’un logement pouvait être constaté mais également de permettre au maire de demander au Préfet de mettre en demeure l’occupant de quitter les lieux. Notre commission des lois, considérant qu’il n’était pas opportun de confier au maire la compétence de défendre la propriété privée de ses administrés, a heureusement écarté cette possibilité.

Reste un article unique qui modifie l’article 226-4 du code pénal afin de lever toute ambiguïté relative à la nature continue du délit de violation de domicile lorsque l’occupant illégal se maintient dans les lieux. Dès lors que l’introduction dans le domicile d’autrui s’est faite par le biais de « manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte », les forces de l’ordre pourront désormais intervenir au titre du flagrant délit tout au long du maintien dans les lieux, sans qu’il soit besoin de prouver que ce maintien est également le fait de « manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte ».

Il ne s’agit finalement que de préciser l’infraction de violation de domicile et non, comme le titre racoleur de la proposition de loi le laisse entendre, de créer un régime dérogatoire pour faciliter l’expulsion des squatteurs de domicile.

Le texte issu des travaux de la commission des lois est bien plus acceptable que le texte initial mais il n’en reste pas moins un texte d’affichage.

Cela n’aura échappé à personne, notre collègue Natacha Bouchart est également maire de Calais et ce ne sont pas les « squatteurs » qui sont ici visés mais bien les migrants qui n’ont parfois pas d’autre choix, en plein hiver, que d’investir un bâtiment inoccupé.

L’amalgame ne peut être fait entre toutes les situations et c’est malheureusement ce qui préside à l’élaboration de ce texte.

Il existe de véritables réseaux organisés qui repèrent des logements vacants, souvent des logements sociaux, en prennent possession dès que l’occasion se présente et le louent ensuite à des familles désespérées. Cette activité est lucrative et doit être combattue, d’autant plus qu’elle s’exerce le plus souvent au détriment des personnes vivant dans les situations les plus précaires.

Il est regrettable que le texte dont nous débattons aujourd’hui ne s’attaque pas aux organisateurs de ces occupations illicites.

Il s’agit ici uniquement de protéger les domiciles privés mais quid de l’occupation des immeubles et bâtiments vacants ?

A Calais comme ailleurs, ce sont majoritairement des logements vides depuis longtemps, qui sont utilisés par des personnes sans domicile pour se mettre à l’abri.

Tenter de faire croire, comme le fait l’exposé des motifs, que « les exemples se multiplient de personnes qui, de retour de vacances, d’un déplacement professionnel ou d’un séjour à l’hôpital, ne peuvent plus ni rentrer chez elles, parce que les squatters ont changé les serrures, ni faire expulser ces occupants », relève à minima de la mauvaise foi.

L’arsenal juridique existe pour mettre fin aux occupations illégales que personne ici ne défend. Il peut être précisé, amélioré mais nous ne pouvons pas faire l’impasse sur la situation de centaines de personnes, hommes, femmes et de nombreux enfants, qui n’ont pas d’autre choix que de « squatter » pour survivre.

Je dirai pour conclure que, si le texte issu de la commission des lois est acceptable du point de vue du droit, son esprit reste contraire à une certaine idée de notre société, humaniste et solidaire, que le groupe écologiste défend, nous ne pourrons, mes chèrEs collègues, apporter nos voix à cette proposition de loi.