Intervention d’Esther Benbassa en séance lors des explications de vote et du scrutin public sur le projet de loi relatif à la réforme de l’asile (26 mai 2015)

PJL n° 394:

relatif à la réforme de l’asile

(Procédure accélérée)

Explication de vote finale

Mardi 26 mai 2015

Esther Benbassa, Sénatrice EE-LV

 

Monsieur le Président,

Monsieur le Ministre,

Monsieur le Président de la commission des lois,

Monsieur le rapporteur,

Mes ChèrEs collègues,

 

Permettez-moi, pour commencer, une courte digression. Une digression seulement en apparence, en fait.

La France, après plus de dix ans de présence, a retiré ses troupes d’Afghanistan. La question du sort réservé aux « personnels civils de recrutement local », interprètes, cuisiniers, jardiniers, qui ont travaillé aux côtés de nos forces, s’est inévitablement posée. Ces personnes sont menacées de représailles pour avoir « collaboré avec l’ennemi ». Elles sont encore 800, plus leurs familles, à espérer que la France ne leur tournera pas le dos. M. le Ministre des Affaires étrangères s’est récemment engagé à ce que les demandes de visa soient examinées avant l’été et que les refus puissent être réexaminés. L’été, c’est dans moins d’un mois.

Cet appel lancé, je reviens au texte dont nous débattons.

Lors de la discussion générale du 7 mai dernier, je terminais mon propos en disant que, si les modifications suggérées par la majorité sénatoriale venaient à être adoptées, ce projet de loi, loin de mieux garantir les droits et libertés fondamentaux des demandeurs d’asile, tournerait au bouclier sécuritaire, sacrifiant les plus fragiles à une obsession anti-immigration.

Je concluais par ces mots : « nous, écologistes, n’apporterons nos voix qu’à un texte humaniste, ambitieux et fidèle aux valeurs de la France ».

Malheureusement, après près de quinze heures de débats et plus de 250 amendements examinés, ce PJL, qui contenait au départ certaines dispositions susceptibles d’améliorer la situation des demandeurs d’asile, a clairement changé de visée, et répond encore moins aux réajustements demandés par la législation européenne en la matière.

La teneur de nos débats m’a souvent surprise. Rares ont été les moments où les parlementaires présents ont paru capables de tenir à distance chiffres, pourcentages et sigles barbares pour se souvenir que nous parlions d’êtres humains en souffrance, d’hommes, de femmes, d’enfants. Rares les moments où nos avons su les gratifier d’un autre regard que celui, évoqué autrefois par un Jorge Semprun, des estivants de Bayonne voyant débarquer les réfugiés « rouges espagnols » derrière des barrages de gendarmes.

Mais François Sureau l’a dit mieux que moi dans Le Monde : « Ceux qui jugent les réfugiés, comme ceux qui les défendent, n’ont aucune expérience personnelle de la guerre, de la révolution, de l’engagement au péril de sa vie, de l’exil forcé […] Les réfugiés et ceux qui traitent leurs demandes sont sur deux planètes différentes. » J’ajouterai seulement : hélas !

Le groupe écologiste avait espéré que les débats se focaliseraient sur l’asile, qu’ils ne seraient pas détournés pour servir de basses fins politiciennes, pour parler politique migratoire, clandestins et flux de migrants. Il n’est guère étonnant, à cet égard, que les articles relatifs à l’éloignement des personnes s’étant vues définitivement refuser l’asile aient suscité les discussions les plus longues et les plus âpres.

Le texte soumis à notre vote prévoit notamment :

– d’une part, que la décision définitive de rejet prononcée par l’OFPRA, le cas échéant après que la CNDA ait statué dans le même sens, vaille obligation de quitter le territoire français ;

– d’autre part que l’étranger débouté de sa demande d’asile ne puisse solliciter un titre de séjour à un autre titre ;

– enfin, que l’administration puisse assigner à résidence les déboutés dans des centres dédiés en vue de préparer leur éloignement.

Voilà qui n’honorerait pas la France.

Je n’oublie pas, quant à moi, les dizaines de milliers de réfugiés républicains espagnols regroupés dans des camps comme celui d’Argelès-sur-Mer. Je n’oublie pas que le gouvernement français osa leur proposer de retourner dans l’Espagne franquiste. Ni qu’ils furent déportés à Mauthausen, dès 1940, par la Wehrmacht. Vous me direz que le contexte n’était pas le même. Certes. Mais qui nous dit que notre contexte ne changera pas demain ?

Le groupe écologiste ne pourra donc, en conscience, apporter ses voix à ce texte.

Je vous remercie.