PJL n° 733 et 734 :
PJL organique interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur (n° 734) et PJL interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de représentant au Parlement européen (n° 733)
– Discussion générale –
Mercredi 18 septembre 2013
Esther Benbassa, Sénatrice EE-LV
Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Monsieur le Rapporteur,
Mes ChèrEs collègues,
Tout ou presque a été dit sur le cumul des mandats. Permettez-moi d’aborder cette question dans le peu de temps dont je dispose sous un angle parfois occulté.
Abdelmalek Sayad, le grand sociologue trop tôt disparu, a écrit un jour : « Exister, c’est exister politiquement ». La question est donc posée : nos instances politiques, en n’étant pas représentatives de l’ensemble de la population française, n’en condamnent-elles pas certains secteurs à une forme d’inexistence ? Femmes, jeunes, ouvriers, chefs d’entreprise, cadres, personnes issues de l’immigration, ultramarins s’y retrouvent-ils à proportion de leur présence réelle dans la société? Certes non.
Rien d’étonnant à cela. « Dès qu’il y a des ‘représentants’ permanents, ainsi que le rappelait le philosophe et économiste Cornélius Castoriadis (encore un étranger !), l’autorité, l’activité et l’initiative politiques sont enlevées du corps des citoyens pour être remises au corps restreint des ‘représentants’- qui en usent de manière à consolider leur position et à créer des conditions susceptibles d’infléchir, de bien de façons, l’issue des prochaines ‘élections’ ».
Le cumul des mandats, ça sert à cela aussi. Et donc à limiter la fluidité de la circulation du personnel politique, son rajeunissement, sa féminisation, sa diversification.
Si le texte débattu aujourd’hui est adopté, le renouvellement sociologique espéré des élus aura-t-il lieu ? Même pas sûr. La loi sur la parité hommes-femmes fournit un précédent très modérément encourageant. Elle a eu quelques bons effets. Mais le vivier de recrutement des femmes élues est resté le même, avec la surreprésentation de certains profils sociologiques (en gros les mêmes que ceux des hommes). Je peine donc à imaginer ce qu’il en sera demain, dans ces conditions, et pour m’en tenir à ce seul aspect des choses, d’une représentation de la « diversité »…
« Diversité ». Doux terme consensuel, héritage des années 2000. Est-il bien compatible avec notre « universalisme républicain », selon lequel l’égalité se réalise en faisant abstraction, justement, des « différences ‘de naissance’ » entre les individus ? Toute revendication portée au nom d’un groupe n’est-elle pas, chez nous, a priori illégitime ? Le « clientélisme électoral », lui, en revanche, demeure. Ciblant qui les Juifs, qui les musulmans, qui les Arméniens, voire tous ensemble, et alors même qu’il est difficile de mesurer l’impact réel du vote ethnique sur le résultat d’une élection.
« Diversité ». Contorsion rhétorique, éloignant de nous le spectre du « communautarisme », nous évitant surtout d’appeler un chat un chat, et rendant d’un coup invisibles ces « minorités » qu’on appelle pourtant « visibles ». Les chiffres parlent. On a bien noté une légère percée au Parlement. Les « issus de la diversité » n’y représentaient qu’1% jusqu’aux dernières élections. Pas de véritable bond, pourtant. A l’Assemblée, l’avancée est modeste : une petite dizaine en tout (hors outremers). Au Sénat, la situation n’est guère plus glorieuse. Nous nous comptons sur les doigts d’une seule main…
Redescendons sur terre. Seulement 2,2 % des 9737 candidats se présentant en métropole aux précédentes élections cantonales étaient issus des « minorités visibles ». Quand les personnes d’origine maghrébine, turque, asiatique ou africaine représentent 8 à 10% de la population française. Les déséquilibres sont patents. Plus à l’UMP qu’au PS. Mais quelle frilosité partout ! Les arguments avancés pour la justifier ? La peur de faire le jeu du FN ou la crainte qu’une fois élus ces gens-là défendent d’abord les intérêts de leur communauté d’origine.
Cela est-il bien vrai ? Dès 2008, 57% des Français estimaient qu’il n’y avait pas assez de personnes appartenant à une minorité visible parmi les parlementaires. 85% d’entre eux se disaient prêts à voter pour un candidat issu dune telle « minorité ». Est-ce que le contexte a changé depuis ? Ce sont plutôt les partis politiques qui ne changent pas. Oubliées les interventions, dès 2005, au Congrès du PS au Mans, soulignant que « les élus de la République sont loin de correspondre à la diversité de la société française » ? Effacées les 35 propositions pour une Diversité en Mouvement, de l’UMP, en 2007, et la volonté affichée de promouvoir des candidats de la diversité ?
Dès 2009, le sociologue Eric Keslassy, dans son enquête conduite pour l’Institut Montaigne – de droite ! –, suggérait entre autres, pour remédier à cette situation, la suppression du cumul des mandats. Ce à défaut d’une transposition à la représentation de la diversité dans le paysage politique des dispositions déjà prises pour la parité.
Je voterai donc bien, comme tout le groupe écologiste, pour l’interdiction du cumul. Parce qu’EELV le préconise depuis fort longtemps. Mais aussi en vertu d’une conviction personnelle profonde. Et dans l’espoir, même ténu, que ce texte donnera un petit coup de pouce au renouvellement de notre représentation politique. Encore faudra-t-il un peu plus de transparence et de volontarisme au sein des partis politiques dans les désignations et les jeux de réseaux. Ainsi que l’introduction de la proportionnelle aux élections législatives, et surtout un changement des mentalités des politiques et l’élaboration d’un statut de l’élu.