Intervention d’Esther Benbassa lors du débat sur le thème : « les collectivités territoriales et le financement des lieux de culte » (9 juin 2015)

Débat sur le thème : « les collectivités territoriales et le financement des lieux de culte »

Discussion générale

Mardi 9 juin 2015

Esther Benbassa, Sénatrice EE-LV

 

Monsieur le Président,

Madame la Ministre,

Mes ChèrEs collègues,

 

Le rapport d’information de notre collègue Hervé Maurey sur « Les collectivités territoriales et le financement des lieux de culte » dont nous débattons aujourd’hui avait été précédé d’une étude de législation comparée sur la question, laquelle incite en effet à repenser le problème.

Et ce d’autant plus que le paysage religieux de la France a largement évolué depuis la fameuse loi de séparation des Églises et de l’État, d’une part avec les progrès d’une sécularisation toujours plus affirmée, d’autre part avec l’émergence et/ou la visibilité croissante de nouvelles religions, lesquelles n’avaient de surcroît pas été intégrées au Concordat.

Nos élus sont régulièrement confrontés dans leurs territoires au problème de la gestion des cultes, y compris à la question délicate de leur financement, celui de l’islam, notamment, dont la pratique a pris, dans certaines localités, une ampleur considérable et qui se heurte au manque de lieux de culte.

Le rapport de notre collègue Maurey examine la situation des collectivités territoriales au regard de leur implication dans le financement des lieux de culte et avance des propositions concrètes, sans remettre fondamentalement en question le cadre précis qu’offre la loi de 1905 en la matière, pour faciliter les relations entre les pouvoirs publics locaux et les cultes, tout en suggérant d’améliorer les dispositifs existants.

Notre pays, rappelons-le, est celui, en Europe, qui compte le plus grand nombre de musulmans, de juifs et de bouddhistes. D’après un sondage TNS-SOFRES de janvier 2015 sur le financement des lieux de culte, la construction de nouveaux lieux de culte est un enjeu qui ne concerne pas toutes les religions mais essentiellement le culte musulman. La question émerge dans les communes de plus de 5 000 habitants, et elle est le plus souvent posée par la communauté musulmane elle-même.

Face à cette demande, les élus choisissent ou bien de retarder la prise de décision ou de repousser ces demandes, par crainte des réactions de leurs administrés ou du fait d’un sentiment de perte d’identité – ou bien de recourir à des pratiques cachées ou non officielles qu’il convient assurément de normaliser.

Ce rapport dessine des pistes à ne pas négliger, particulièrement après les tragédies de janvier, à un moment où la question de la réorganisation de l’islam a de nouveau été posée. Quid du financement par des pays étrangers de la construction de mosquées en France ? Quid de la nomination à leur tête d’un personnel du culte non formé selon les exigences d’une République à la fois laïque et respectueuse de la pratique des cultes ? Quid des moyens à mettre en œuvre pour tenter d’endiguer les orientations radicales de certaines d’entre elles ?

Selon le sondage TNS SOFRES déjà cité, 59% des élus seraient défavorables au financement public des nouveaux lieux de culte au nom du respect de la loi actuelle, du devoir de neutralité, de la défense de l’intérêt général, de l’état des finances publiques locales et de l’existence de mesures et d’aides alternatives comme le bail emphytéotique, la location de salle, le prêt temporaire de salle ou de terrain.

L’étude comparée de l’Allemagne, de l’Espagne, de l’Italie, du Royaume-Uni et de la Turquie fait apparaître, à côté de l’affirmation du principe général de liberté religieuse, une modulation intéressante des types d’intervention publique dans les questions relatives aux lieux de culte, laquelle pourrait utilement alimenter et orienter notre réflexion.

Par ailleurs, actuellement, la France compte 2450 mosquées, contre seulement 1600 en 2004. Cette évolution est sensible surtout dans les grands bassins de population et en majorité dans la région parisienne. 64% de ces mosquées auraient une surface inférieure à 150 m2. Il ne s’agit nullement, dans l’écrasante majorité des cas, de mosquées-cathédrales visibles, mais plutôt de lieux de culte de proximité.

Contrairement à ce qui est souvent répété, ce ne sont pas des pays musulmans qui subventionnent le plus grand nombre de mosquées, mais bien les dons des fidèles.

Il n’en est pas moins urgent de voir leur nombre augmenter. Ne serait-ce que pour accueillir tous ces jeunes français retournant à l’islam. Avec des imams formés à la théologie, aux valeurs de la République et au prêche en français, capables de concurrencer efficacement, si possible, les soi-disant « prédicateurs » radicaux et les sites Internet.

Une vraie réorganisation de l’islam français ne fera pas l’économie de la construction de mosquées. Parce que la mosquée n’est pas seulement un lieu de culte mais bien un lieu de socialisation indispensable à l’édification, pour tous ces jeunes, d’un avenir religieux pleinement compatible avec leur citoyenneté.