PJL n°642 :
Projet de loi tendant à renforcer l’efficacité des sanctions pénales
(PROCEDURE ACCELEREE)
– Discussion générale –
Mardi 24 juin 2014
Esther Benbassa, Sénatrice EE-LV
Monsieur le Président,
Madame la Ministre,
Monsieur le rapporteur,
Mes ChèrEs collègues,
J’ouvrirai mon intervention par un mot de Paul Ricœur, philosophe chrétien. Dans Soi-même comme un autre (p. 112), Ricœur écrit : « La sagesse pratique consiste à inventer les conduites qui satisferont le plus à l’exception que demande la sollicitude en trahissant le moins possible la règle. »
Pour Ricœur, une justice seulement rétributive reste en deçà du juste. Le jugement doit avant tout contribuer à la paix sociale en rapprochant les points de vue, en repartageant entre eux le soin de l’apaisement et du renouvellement du lien social. Dans la continuité d’Aristote, Ricœur appelle à un effort renouvelé pour ne jamais séparer l’aspect déontologique de la justice, qui est l’affirmation de règles et d’obligations, de son aspect téléologique, dont la visée consiste en un bien-vivre en commun.
Madame la Ministre, le texte que vous avez initié constitue un tournant au regard d’une philosophie de la justice aspirant à y préserver la touche d’humanité, tout en palliant l’indifférence aux oubliés de l’histoire. Une philosophie qui est aussi indignation et exigence de défendre les droits des plus démunis avec et pour eux. Si le projet de loi dont nous débattons réussit à traverser dignement une atmosphère politique qui est plus à la polémique qu’à la reconstruction sociale positive, il contribuera à faire de la compassion, comme le soulignait Rousseau dans l’Émile, non pas une faible commisération mais une force susceptible d’irriguer les liens sociaux. Aussi bien Rousseau que Ricœur réhabilitent en effet la compassion comme composante du lien social, démontrant la force de ce sentiment, loin de tout éphémère sentimentalisme, comme de tout stérile apitoiement.
Votre texte, Madame la Ministre, même incomplet, porte haut l’humanisme qui a longtemps été celui de notre pays, mais que certains de ses dirigeants tendent à oublier, soumis à la course aux informations rapides et sensationnelles des médias, adeptes d’une philosophie du smartphone et du tweet qui serait, selon le flot du jour, à même de dicter décisions importantes et mesures prêtes à l’emploi… Telle cette utopie de la tolérance zéro à l’insécurité, dans un monde d’humains vulnérables et faillibles.
Avec ce texte, nous nous ouvrons aussi au care anglo-américain, tel qu’analysé par Joan Tronto. Le care permet, selon elle, « la transformation de la pensée sociale et politique, en particulier de la façon dont nous avons à traiter les autres. » C’est à partir de sa pratique que se révèlent le mieux les ressources de la compassion pour tisser des liens sociaux plus soucieux des besoins des plus démunis et plus ambitieux dans la défense de leurs droits. C’est en prenant au sérieux les pratiques du care et en les considérant dans toute leur envergure que s’en manifeste la puissance intégrative. À cet égard, votre texte, Madame la Ministre, est-il parfaitement réaliste.
Nous, écologistes, sommes heureux et honorés d’examiner avec vous toutes et tous ce projet de loi relatif à l’individualisation des peines et à la prévention de la récidive, qui nous permet d’être les acteurs d’un tournant décisif.
Il était temps de mettre fin à l’aberration des peines plancher ainsi qu’à la révocation automatique du sursis simple et du sursis avec mise à l’épreuve.
La contrainte pénale, l’une des mesures phares de ce PJL, a certes réveillé les démons les plus puissants de notre imaginaire pénal. Pourtant, au printemps, la Conférence de consensus sur la prévention de la récidive a démontré, chiffres à l’appui, que pour les petites infractions la récidive était plus faible après une peine de probation en liberté qu’après un séjour en prison. Mais nos élus de droite, faisant fi de ces données et d’une réflexion plus en phase avec la réalité carcérale, continuent de brandir l’épouvantail du laxisme et d’instrumentaliser ce PJL et les victimes des infractions en cause pour servir de purs intérêts politiques. Alors-même, je tiens à le rappeler, que le sécuritarisme de M. Sarkozy ne l’a pas aidé à gagner l’élection présidentielle…
L’enfermement à tout prix serait-il donc le seul horizon possible de la peine? Et pourquoi la peine de probation serait-elle un cadeau fait aux délinquants? Nicole Maestracci, magistrate, présidente du comité d’organisation de la Conférence de consensus, y a pourtant insisté : la peine de probation est « une peine à part entière. » Ajoutant qu’il convenait de sortir de l’idée que les peines en milieu ouvert sont plus douces que l’enfermement. Pour beaucoup de délinquants, les contraintes imposées par la peine de probation seront plus difficiles à supporter que la prison. La prison, un endroit où certains détenus passent leur journée à regarder la télévision. La prison, lieu d’une forme de déresponsabilisation.
Et comme l’écrit Denis Salas, « cette peine s’inscrit complètement dans la philosophie de la réhabilitation. » Punir, c’est d’abord réinjecter dans l’individu coupable des normes sociales et non morales. La psychanalyse nous a appris qu’on ne peut pas éradiquer le désir du mal, et qu’il ne sert pas à grand chose de penser qu’on rendra le délinquant plus vertueux, mais on peut essayer de l’insérer dans la société et l’empêcher qu’il devienne pire que ce qu’il est. Comme c’est le cas, justement, dans ces prisons où les petits délinquants fréquentent des bandits d’envergure – ou des djihadistes –, dans une promiscuité extrême et dans l’abandon à soi-même.
Il ne s’agit plus d’entretenir une société sondagière et vengeresse de l’utopie sécuritaire et du populisme pénal, mais de travailler à l’avènement d’une société apaisée qui participe activement à la mise en œuvre de la sanction, municipalité ou conseil général organisant un stage de sécurité routière pour les délinquants de la route, associations mettant en place des groupes de parole pour les auteurs de violences conjugales. En fait, le droit à la probation dit au coupable, selon D. Salas, « tu seras puni, mais tu gardes ta place parmi nous », ou, selon Ricœur : « tu vaux mieux que tes actes. »
Nous sommes aujourd’hui à la croisée des chemins. Il nous faut choisir entre deux options. Ou construire plus de prisons – ou renforcer les actions éducatives, d’insertion et de solidarité à l’endroit des délinquants pour moins de récidive et plus de sécurité. L’autre grande question, bien entendu, est de savoir si, pour faire aboutir cette réforme, on s’en donnera les moyens, notamment s’agissant de l’instauration d’un examen systématique de la situation des condamnés à une peine de plus de cinq ans, en vue de l’éventuel octroi d’une mesure de libération sous contrainte. Mécanisme qui devrait permettre de lutter efficacement contre les « sorties sèches », véritable terreau de la récidive.
Il ne s’agit pas ici de lâcher des criminels dans la nature comme certains le prétendent. Mais au contraire d’éviter l’environnement carcéral souvent criminogène à certains auteurs d’infractions qui se verront contraints par de nombreuses obligations et interdictions adaptées à leur situation.
N’oublions pas non plus que l’insertion commence en milieu fermé. Aucune mesure n’a été jusqu’ici véritablement efficace pour lutter contre les « sorties sèches », puisque 78% des personnes incarcérées sortent sans aucun contrôle, chiffre qui atteint 98% pour les personnes condamnées à moins de six mois.
Et pour cause, s’il existe dans les prisons un quartier des arrivants, pour atténuer le choc de l’incarcération, il n’existe pas de quartier des sortants, pour atténuer le choc de la libération. Il faudrait préalablement à la sortie obtenir un logement, entamer des procédures difficiles pour obtenir un RSA, une carte Vitale. Et ainsi articuler la politique pénitentiaire et les politiques sociales. Car comme le dit D. Salas, le récidiviste n’est pas une figure de l’incorrigible, mais celui qui attend qu’on l’aide dans sa vulnérabilité et qu’on le reconnaisse dans sa demande de droits sociaux.
Ainsi ce PJL tend-il à convertir la prison en chance pour la réinsertion. L’objectif est clair : réduire le risque de récidive. À nous de rappeler à l’opinion que l’inflation législative et l’enfermement comme réponse pénale dissuasive n’ont pas réussi à endiguer la récidive. Si l’incarcération apporte une sécurité provisoire, seule une réinsertion réussie renforce la sécurité à long terme.
Je veux ici rendre hommage au travail de nos collègues de l’Assemblée, et notamment des écologistes, qui ont beaucoup amélioré le texte.
Parmi les nombreuses avancées, je citerai la création, à l’article 18 quinquiès, d’une procédure de demande de mise en liberté pour motif médical au bénéfice des personnes placées en détention provisoire, disposition, qui reprend les termes d’une proposition de loi écologiste adoptée à l’unanimité par le Sénat en février dernier, dont j’ai été la rapporteure.
Le texte issu de la Commission des lois du Sénat a montré que son rapporteur socialiste – Jean-Pierre Michel, dont je salue ici l’excellence de la contribution – et les écologistes portent des combats communs, se retrouvant sur nombre d’amendements. Ainsi la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs délinquants, dont l’existence même constitue une atteinte au principe de spécialité de la justice des mineurs, lesquels ont davantage besoin d’éducation que d’enfermement. De même, encore, la suppression de la rétention de sûreté.
Nous voterons donc ce texte. Mais je vous exhorte, mes cherEs collègues, je nous exhorte, quand bien même certains de nos points de vue divergeraient, à nous rassembler autour de ce texte. Un texte rompant avec l’imaginaire collectif binaire qui divise le monde en coupables d’un côté et victimes de l’autre. L’Autre, ne l’oublions pas, c’est encore nous-mêmes. Ne sacrifions donc pas ce texte à la fois humaniste et réaliste sur l’autel de nos clivages politiques.