Intervention d’Esther Benbassa lors de la discussion générale en tant que rapporteure de la proposition de loi visant à l’indemnisation des personnes victimes de prise d’otages (Mercredi 8 octobre 2013)

Discussion générale

Mercredi 9 octobre 2013

 

Monsieur le Président,

Madame la Ministre,

Mes ChèrEs collègues,

Nous examinons aujourd’hui la proposition de loi n°657 de Mme Claudine Lepage, 40 de ses collègues et les membres du groupe socialiste et apparentés, qui vise à faciliter l’indemnisation des victimes de prise d’otages.

Comme le rappelle l’exposé des motifs de cette proposition de loi, les prises d’otages sont toujours des périodes de grandes souffrances, tant pour les personnes retenues que pour les membres de leurs familles. L’actualité nous montre – hélas trop souvent – que le fait d’être Français peut exposer certains de nos compatriotes présents à l’étranger à en être victimes, du seul fait de leur nationalité.

Selon le ministère des affaires étrangères, une cinquantaine de ressortissants français ont été victimes d’une prise d’otages depuis 2009 – 35 dans le cadre d’un acte de terrorisme, 15 dans le cadre d’un acte de grand banditisme.

Un effort de solidarité nationale tout particulier s’impose donc à l’égard de ces personnes et de leurs proches.

La question qui se pose à nous est alors celle du statut juridique de l’otage, peu à peu façonné par le droit international et précisé par le droit interne.

Depuis 1945, le droit international a envisagé les prises d’otages au prisme des conflits armés et l’a rangé, pendant trente ans, parmi les crimes de guerre.

L’article 3 commun aux quatre conventions de Genève du 12 août 1949 prohibe « en tout temps et en tout lieu » à l’égard des personnes qui ne participent pas directement aux hostilités, notamment, les atteintes portées à la vie, à l’intégrité corporelle, à la dignité ainsi que « les prises d’otages ».

On retrouve cette prohibition dans les instruments internationaux ultérieurs et notamment dans les deux protocoles additionnels du 8 juin 1977 aux conventions de Genève et dans le statut de la Cour pénale internationale du 17 juillet 1998.

Cependant, il a fallu attendre l’apparition du terrorisme international dans les années 70 pour que la prise d’otage soit sortie du cadre unique des conflits armés et envisagée en tant qu’infraction indépendante.

En droit français, la prise d’otage n’est pas encore une infraction indépendante.

En effet, l’article 224-1 du code pénal dispose que : « le fait (…) d’arrêter, d’enlever, de détenir ou de séquestrer une personne, est puni de vingt ans de réclusion criminelle ».

L’article 224-4 du code pénal allonge la peine à trente ans de réclusion criminelle si la séquestration avait notamment pour but l’obtention d’un ordre ou le versement d’une rançon.

Ainsi, la prise d’otage est-elle une circonstance aggravante de l’infraction que constitue la séquestration ou la détention illégale.

Cette absence de notion indépendante de prise d’otages dans le droit pénal induit une indemnisation différente selon les circonstances de cet acte, qui donne lieu ou non à la qualification d’acte de terrorisme, et de ses conséquences pour la victime, c’est-à-dire de la gravité des dommages subis.

La présente PPL a alors pour objet de pallier toute divergence dans l’indemnisation des victimes de prise d’otage, en alignant, dès lors que la prise d’otages ne constitue pas un acte de terrorisme, les modalités de leur indemnisation sur celles des victimes d’atteintes graves à la personne.

Lorsqu’une personne est victime d’une infraction pénale, elle dispose de deux voies de droit pour obtenir la réparation du dommage subi et l’indemnisation de son préjudice :

– soit elle se constitue partie civile devant la juridiction pénale chargée de juger l’auteur des faits, afin d’obtenir la condamnation de celui-ci à lui verser des dommages et intérêts ;

– soit, si elle ne peut ou ne souhaite pas agir au pénal, elle a la possibilité de saisir les juridictions civiles d’une demande de réparation, sur le fondement du droit commun de la responsabilité civile.

La mise en œuvre de ces voies de droit peut toutefois se heurter à des difficultés, soit lorsque l’auteur des faits est insolvable, soit lorsque, pour un certain nombre de raisons, il ne peut comparaître devant la justice française (l’auteur des faits est inconnu, il est décédé, il est pénalement irresponsable, il se trouve sur le territoire d’un État qui refuse de l’extrader, etc.).

Dans ce cas, afin d’éviter que, dans certaines circonstances particulièrement choquantes, une victime ne puisse obtenir la réparation de son préjudice, le législateur a progressivement mis en place, à partir de la loi du 3 janvier 1977, un système d’indemnisation des victimes reposant sur le principe de la solidarité nationale.

Plusieurs dispositifs, fondés soit sur la nature de l’infraction subie, soit sur la gravité du préjudice, ont été instaurés.

D’une part, un régime d’indemnisation intégrale des dommages corporels résultant d’un acte de terrorisme. Cette procédure, définie par le code des assurances, repose sur le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions (FGTI). Il s’agit ici d’une procédure administrative qui se caractérise par sa souplesse (aucun formalisme requis, aucune condition de délai) et par sa mise en œuvre rapide, le procureur de la République ou l’autorité diplomatique ou consulaire compétente, devant, dès la survenance d’un acte de terrorisme, informer sans délai le FGTI des circonstances de l’évènement et de l’identité des victimes.

D’autre part, le code de procédure pénale organise l’indemnisation des victimes de certaines infractions pénales graves ou se trouvant dans une situation particulièrement difficile. Il s’agit ici d’une procédure juridictionnelle, faisant intervenir la commission d’indemnisation des victimes d’infractions (CIVI), juridiction civile composée de deux magistrats du siège du TGI et d’une personne majeure s’étant signalée par l’intérêt qu’elle porte aux problèmes des victimes.

Pour être éligible à cette procédure, la victime doit être de nationalité française ou les faits doivent avoir été commis sur le territoire national.

Comme en matière de terrorisme, la réparation peut être refusée ou son montant réduit à raison de la victime.

En résumé, les victimes d’une prise d’otages, je m’attacherai ici à cette seule infraction, sont susceptibles de relever, pour l’indemnisation de leur préjudice, de trois situations différentes :

– si la prise d’otages constitue un acte de terrorisme, elle bénéficie de la procédure instaurée par la loi du 9 septembre 1986 précitée ;

– si la prise d’otages ne constitue pas un acte de terrorisme mais qu’elle a entraîné la mort de la victime, une incapacité permanente ou une incapacité totale de travail personnel égale ou supérieure à un mois, la victime peut obtenir une réparation intégrale de son préjudice auprès de la CIVI, sur le fondement de l’article 706-3 du code de procédure pénale précité ;

– dans le cas contraire, la victime ne peut prétendre à une indemnisation auprès de la CIVI que si, victime d’une atteinte à la personne, elle ne peut obtenir à un titre quelconque une réparation ou une indemnisation effective et suffisante de son préjudice, qu’elle se trouve de ce fait dans une situation matérielle ou psychologique grave et que ses ressources sont inférieures au plafond prévu pour l’aide juridictionnelle partielle.

La proposition de loi que nous examinons, en complétant l’article 706-3 du code de procédure pénale, aurait pour conséquence que l’ensemble des victimes soient désormais assurées d’obtenir la réparation intégrale de leur préjudice, soit à travers la procédure ad hoc prévue en matière de terrorisme, soit à travers la procédure juridictionnelle instituée par l’article 706-3 du code de procédure pénale.

Sur le fond, la proposition de loi ne soulève aucune difficulté particulière. Elle illustre toutefois la complexité du droit en matière d’indemnisation des victimes d’infractions pénales – sujet sur lequel MM. Philippe Kaltenbach et Christophe Béchu présenteront un rapport d’information à notre commission à la fin du mois d’octobre 2013.

Cette PPL vise surtout à apporter sécurité juridique et reconnaissance symbolique aux victimes de prise d’otages. Et par là même à attirer l’attention sur la nécessité de mieux accompagner les victimes de prises d’otages et leurs familles.

Chers collèguEs, pour toutes les raisons que je viens d’évoquer, je vous demande donc l’adoption de la proposition de loi dans sa rédaction issue des conclusions de la commission des lois.

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