Intervention d’Esther Benbassa en séance lors de la discussion générale sur le projet de loi sur le droit des étrangers en France (6 octobre 2015)

Madame la Présidente,

Monsieur le Ministre,

Monsieur le Président de la commission des lois,

Monsieur le rapporteur,

Mes ChèrEs collègues,

Ce projet de loi sur le droit des étrangers visait à l’origine d’une part à améliorer l’accueil et l’intégration des ressortissants étrangers en sécurisant leur parcours et d’autre part à lutter plus efficacement contre l’immigration irrégulière. A assurer d’un même élan protection des libertés individuelles et efficacité des décisions administratives d’éloignement, dans le respect des directives européennes.

Entre diverses initiatives heureuses, une mesure phare : la création d’une carte de séjour pluriannuelle d’une durée maximale de quatre ans, à mi-chemin entre l’actuelle autorisation d’un an et la carte de résident de dix ans. Même si elle est encadrée par de nombreuses restrictions et élargit les pouvoirs des préfets, une telle disposition facilite le parcours de l’étranger en quête de son document de séjour.

Ce projet de loi instaure en revanche une préoccupante interdiction de circulation sur le territoire français aux Européens abusant de leur liberté de circuler ou constituant une menace à l’encontre d’un intérêt fondamental. Cette mesure cible en particulier les « Rroms », ainsi que le Défenseur des droits l’a plusieurs fois souligné.

Il restait certes des marges de négociation pour améliorer ce texte. Les députés s’y étaient déjà attelés. Hélas, notre Commission des Lois n’a eu d’autre but que de le réécrire dans le pire des sens. Déjà à l’Assemblée, Les Républicains avaient ressorti les mesures que l’UMP, lorsqu’elle était au pouvoir, avait mises en œuvre sans résultat, ou qu’elle avait renoncé à faire adopter parce qu’elles étaient incompatibles avec le droit international ou constitutionnel.

Nous voilà donc revenus en arrière : regroupement familial, intégration dès le pays d’origine, prestations sociales, aide médicale d’État, etc., tout cela a été remis sur le tapis, ramenant le débat à ce qu’il était il y a dix ans.

L’obsession de nombres de nos collègues Républicains est patente : ne pas abandonner à Marine Le Pen l’exclusivité d’un programme politique qui n’en est pas un, mais qui entretient un populisme régressif imprégnant chaque jour davantage notre société: il y aurait trop d’immigrés ! Rien à faire, voilà à quoi une partie de la droite à court d’idées s’accroche pour essayer de sauver son mince capital électoral. Et pourtant, on sait ce que vaut cette affirmation, et de quelle manière répétitive le quinquennat précédent a dénoncé une immigration soi-disant massive, sans réduire le moins du monde un nombre d’entrées légales qui, d’une année sur l’autre, varie peu et reste bas. Si l’on fait abstraction des réfugiés, qui ne relèvent pas de ce texte, les flux migratoires réguliers avoisinent 200 000 par an, soit 0,3% de la population française, situant la France à un niveau inférieur à la moyenne des pays de l’OCDE.

L’offensive menée contre le regroupement familial a la même fin : faire peur aux Français avec l’immigration, et leur faire croire qu’en en tarissant le flux on va miraculeusement résoudre tous leurs problèmes. Le FN doit vous remercier, mes chers collègues. Or, de quoi parle-t-on ? Sur les 200 000 entrées légales annuelles, l’immigration familiale en représente 90 000, dont seulement 20 000 relèvent du regroupement familial proprement dit, les autres étant principalement des Français faisant venir leur conjoint étranger.

L’Assemblée a réintroduit la notion d’effectivité de l’accès aux soins dans le pays d’où est originaire l’étranger malade pour l’obtention d’un droit au séjour temporaire pour raisons médicales en France. A peine le texte est-il arrivé au Sénat que cette disposition a été supprimée. Le même sort a été réservé à un article prévoyant la délivrance de plein droit de la carte de séjour temporaire aux personnes victimes de violences familiales ou conjugales. Sans oublier le durcissement des dispositions relatives à l’assignation à résidence pour expulser plus facilement les déboutés.

La liste des reculs est longue et nous y reviendrons lors de l’examen des amendements en séance.

Je demande à ceux qui ne voient les immigrés que comme des intrus s’ils savent seulement de ce qu’est l’immigration. Croyez-vous qu’on quitte son pays avec autant de légèreté que vous, vous abordez cette question sous ces lambris dorés?

Une France refermée sur elle-même à l’ère de la mondialisation est une régression. Faire croire qu’on va arrêter l’immigration d’un coup de baguette magique dans ce monde aux frontières qui se virtualisent est un mensonge. Un pays qui sait accueillir les immigrés est aussi un pays qui finit par s’enrichir de leur apport. Regardez les Etats-Unis, le nombre de Prix Nobel, de médailles Fields dont les récipiendaires y portent des noms à consonance étrangère. Il était un temps où c’était le cas pour la France. Oublié tout cela ! Même les meilleurs étudiants étrangers ne viennent plus chez nous. Même les réfugiés rêvent d’une autre destination.

Aucune politique de l’entre-soi n’a jamais sauvé les grandes civilisations en déclin, ni favorisé la création de haut niveau. Nous avons aussi besoin de l’immigration pour faire tourner l’économie. Excusez-moi d’être triviale, oublions les prix et les médailles, dont vous semblez faire peu de cas. Qui, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, ramassera nos poubelles, nettoiera nos bureaux, fera notre gardiennage, gardera nos enfants en bas âge, travaillera dans les restaurants à bas prix, dans le bâtiment, etc. ?

Non, les immigrés ne sont pas des ennemis. Juste les alliés du pays qui leur ouvre ses portes.