Intervention d’Esther Benbassa en séance lors de la discussion générale sur le projet de loi relatif à la réforme de l’asile (11 mai 2015)

 

PJL n° 394:

relatif à la réforme de l’asile

(Procédure accélérée)

Discussion générale

Jeudi 7 mai 2015

Esther Benbassa, Sénatrice EE-LV

 

Monsieur le Président,

Monsieur le Ministre,

Monsieur le Président de la commission des lois,

Monsieur le rapporteur,

Mes ChèrEs collègues,

 

Ce projet de loi de réforme de l’asile, nous étions nombreux à en espérer beaucoup : magistrats de la Cour Nationale du Droit d’Asile (CNDA), salariés de l’Office Français des Réfugiés et Apatrides (OFPRA), avocats, militants des droits humains, citoyens attachés aux valeurs de la République.

Ma colère n’en est que plus grande, mes chèrEs collègues, quand je vois dans quelles conditions il est examiné.

Notre Commission des lois n’a pu travailler sereinement, pour des raisons que je soupçonne d’être uniquement politiciennes. Nous allons examiner un texte capital par petits bouts, ce lundi soir puis lundi prochain. Ce PJL, qui devrait être une expression privilégiée de l’humanisme fondant notre démocratie, valait mieux que cela. Notre Haute Assemblée aussi.

Qui peut rester insensible aux drames humains qui, ces dernières semaines, se jouent devant nos portes ?

Qui peut encore parler froidement de « chiffres de l’immigration », de « contrôle des flux migratoires », quand des milliers de migrants se noient en Méditerranée ?

Qui peut refuser son empathie à ces centaines de milliers d’adultes et d’enfants fuyant chaque année la guerre, la terreur, les catastrophes climatiques, et que nous accueillons si peu, si mal ?

Qui sait, sur nos bancs, ce que signifie quitter sa famille, ses amis, les couleurs et les odeurs de la terre où l’on est né ?

Personne n’émigre de gaieté de cœur, ni ne demande de gaieté de cœur l’asile à un pays qu’il ne connaît pas.

Notre débat de ce jour doit s’élever au-dessus de la politique politicienne. Il exige d’abord de reconnaître l’intolérable détresse de ces êtres, menacés par des régimes dictatoriaux, qui s’exilent parce qu’ils ont pris des risques et qui font si souvent honneur au courage humain.

En commission, un de nos collègues a affirmé que l’émotion n’avait pas à interférer dans un tel débat. C’est le contraire que je pense. Un législateur sans cœur est un arbre desséché.

Rappelons les grands principes gouvernant le droit d’asile. Non que je soupçonne certains de les ignorer mais parce que les avoir à l’esprit empêche de céder au confusionnisme en vogue entre droit d’asile et immigration.

Si la protection que nous leur devons découle de la Convention de Genève sur les réfugiés du 28 juillet 1951, elle est également pour nous, Français, une exigence nationale – constitutionnelle, aussi bien en vertu du 4e alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 que de l’article 53-1 de la Constitution de 1958.

Pour le Conseil constitutionnel, le droit d’asile est un « droit fondamental », un « principe de valeur constitutionnelle ». Il ne saurait donc être soumis aux vicissitudes de nos politiques d’immigration. La Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme (CNCDH) dans son avis du 20 novembre 2014, affirme ainsi à raison que « réduire la question de l’asile à un problème de gestion des flux ou de réduction des coûts est inacceptable. »

Gardons-nous donc de priver de sens nos débats en instrumentalisant les chiffres, en ne parlant que « gros sous ». Certains ont déjà tenté de jouer du rapport d’étape de la Cour des Comptes, dont des extraits sont parus à point dans Le Figaro, présentant la politique d’asile comme extraordinairement coûteuse et en faisant « la principale source d’arrivée d’immigrants clandestins en France ». D’autres n’ont pas hésité à faire à l’AFP des déclarations que je dirai pour le moins peu rigoureuses, à seule fin de différer nos débats.

L’épisode fut peu glorieux. Oublions-le. Et revenons aux chiffres, tout à fait publics, transparents, et montrant bien que la France n’est plus tout à fait la terre d’asile qu’elle s’enorgueillissait d’être.

Juste un exemple : sur les 122 800 Syriens ayant demandé l’asile dans l’Union Européenne en 2014, seuls 2 084 l’ont fait en France. Au contraire de l’Allemagne et de l’Italie, qui ont connu une augmentation, respectivement, de 60 % et de 143 %, notre pays est l’un des seuls en Europe à connaître une diminution de la demande d’asile. Que je sache, cette diminution ne tient pas à une amélioration de la situation géopolitique mondiale… Nous sommes loin, mes cherEs collègues, d’accueillir « toute la misère du monde » !

Le texte initial, encore amélioré par l’Assemblée nationale, comportait des avancées notables. Ainsi nous nous réjouissions, au groupe écologiste, que le droit au maintien sur le territoire français soit consacré, que l’effet suspensif des voies de recours soit étendu, qu’un juge spécialisé de l’asile soit maintenu et que le demandeur puisse être mieux accompagné lors de son entretien devant l’OFPRA.

Malheureusement, si les modifications suggérées par la majorité sénatoriale venaient à être adoptées, ce texte, loin de mieux garantir des droits et libertés fondamentaux des demandeurs d’asile, tournerait au bouclier sécuritaire, sacrifiant les plus fragiles à une obsession anti-immigration.

Nous, écologistes, porterons donc de nombreux amendements, visant notamment à mieux encadrer la nouvelle procédure accélérée instaurée par le projet de loi. Quant à notre vote final, il sera fonction de l’issue de nos travaux.

Nous, écologistes, ne sommes pas là pour avaliser un texte satisfaisant l’agenda politique de l’UMP et du FN, pour qui la « lutte contre l’immigration » tient lieu d’unique « programme », quand les Français attendent bien plutôt des solutions concrètes et justes à leurs difficultés économiques et sociales.

Nous n’apporterons nos voix, cherEs Collègues, qu’à un texte humaniste, ambitieux, fidèle aux valeurs de la France.