Intervention d’Esther Benbassa en séance lors de la discussion générale sur la proposition de résolution visant à la promotion de mesures de prévention et de protection des déplacés environnementaux (Sénat, 21 octobre 2015)

PPR n° 632 :

visant à la promotion de mesures de prévention et de protection des déplacés environnementaux

Discussion générale

Mercredi 21 octobre 2015, 10 minutes

Esther Benbassa, Sénatrice EE-LV

 

Monsieur le Président,

Monsieur le Ministre,

Monsieur le Président de la commission des affaires étrangères,

Mes ChèrEs collègues,

 

L’actualité ne cesse de nous rappeler notre vulnérabilité face aux forces de la nature. Sécheresses, inondations, cyclones, tremblements de terre, glissements de terrain, crues glaciaires et fonte du pergélisol, fonte glaciaire, érosion du littoral sont autant de bouleversements environnementaux qui entraînent la dégradation des conditions de vie des populations humaines, jusqu’à menacer parfois leur survie.

Selon l’Agenda pour la protection des personnes déplacées au-delà des frontières de l’Initiative Nansen – lancée en 2012 par la Norvège et la Suisse, et dont les parties prenantes se sont réunies à Genève tout récemment, les 12 et 13 octobre – au total, entre 2008 et 2014, 184,4 millions de personnes ont été déplacées en contexte de catastrophes, soit une moyenne de 26,4 millions de personnes nouvellement déplacées chaque année. Ce chiffre pourrait atteindre les 200 millions en 2050.

Sur cette moyenne annuelle de 26,4 millions de personnes déplacées, 22,5 millions migrent en raison d’aléas liés à la météorologie et au climat. Les autres le font à la suite de l’élévation du niveau des mers, de la désertification et de la dégradation environnementale.

Les travaux scientifiques du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) sont venus conforter ce constat. Dès 1990, le GIEC avait averti la communauté internationale des mouvements de population qui pourraient découler du changement climatique. En 2012 et en 2014, il a réitéré l’expression de ses inquiétudes en assurant que l’augmentation de la fréquence et/ou de l’intensité des catastrophes compromettra la survie ou les moyens de subsistance des populations, entraînant des déplacements susceptibles d’exercer de nouvelles pressions dans les régions d’accueil, et il a souligné la nécessité d’agir en faveur d’une protection de ces populations.

L’appréhension de ces flux migratoires n’est pas simple. Une multitude de dénominations ont été adoptées les concernant, telles que « réfugiés environnementaux », «  réfugiés climatiques », « migrants environnementaux », « déplacés environnementaux », dénominations variant selon les chercheurs, les organisations non gouvernementales ou internationales, les responsables politiques, et conduisant à une confusion générale.

La qualification de réfugiés environnementaux a été  vivement condamnée par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Ce dernier considère que cette qualification ne peut être employée parce qu’elle n’a aucun fondement en droit international des réfugiés, contrairement au cas des réfugiés politiques. Pour leur part, les experts conviennent d’adopter le terme de « déplacés environnementaux », qui est aussi celui qui est préféré par les populations concernées elles-mêmes.

On observe en pratique que ces déplacements spécifiques s’effectuent majoritairement à l’intérieur des États. Il existe des déplacements interétatiques, c’est-à-dire qui conduisent au franchissement d’une frontière internationale, mais ceux-ci sont essentiellement entre les États du Sud. Ces deux tendances s’expliquent notamment par la vulnérabilité particulière des populations du Sud et par un manque de moyens qui les incite à se déplacer uniquement dans des régions proches de leur lieu de vie de départ.

De l’ensemble de ces considérations découle un constat inquiétant : les pays du Sud, victimes directes de la dégradation de l’environnement et de catastrophes naturelles toujours plus intenses, supportent et supporteront le fardeau des migrations environnementales, alors même que les pays développés sont historiquement et encore actuellement responsables des émissions de gaz à effet de serre, contribuant ainsi au réchauffement climatique et à ses retombées, dont le déplacement des populations.

Qui n’a pas entendu parler de ces petits États insulaires du Pacifique et des Caraïbes qui, menacés de voir leurs îles disparaître sous la montée des eaux, s’inquiètent pour l’avenir de leurs populations ?

Il n’existe pas à l’heure actuelle d’instrument juridique assurant aux déplacés environnementaux une protection globale et effective. Lors de la 16e Conférence des Parties à la Convention-Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques, tenue à Cancún en 2010, la thématique des déplacés environnementaux a été envisagée selon une approche particulière : celle de l’adaptation au changement climatique. En d’autres termes, la migration serait un moyen d’anticiper et d’éviter dans la mesure du possible les effets néfastes de l’évolution du climat. À ce titre, les accords de Cancún invitent les parties à adopter des « mesures propres à favoriser la compréhension, la coordination et la coopération concernant les déplacements, les migrations et la réinstallation planifiée par suite des changements climatiques, selon les besoins, aux niveaux national, régional et international ».

À son tour, l’Initiative Nansen vise à atteindre un consensus entre les États intéressés concernant la meilleure manière de traiter les déplacements transfrontaliers dans le contexte des catastrophes naturelles, qu’elles soient liées au climat ou à la géophysique. Lors de la consultation intergouvernementale globale qu’elle a organisée ce mois d’octobre, les États ont adopté un instrument non contraignant : l’Agenda pour la protection des personnes déplacées au-delà des frontières dans le cadre de catastrophes et de changements climatiques. Ce document regroupe et analyse les principes fondamentaux et les pratiques effectives des États en la matière.

Reste que le droit international ne dit toujours pas explicitement si et dans quelles circonstances les personnes déplacées en cas de catastrophe doivent être admises dans un autre pays, ni quels sont leurs droits pendant leur séjour dans le pays concerné et dans quelles conditions elles peuvent être rapatriées ou trouver une autre solution durable.

L’ensemble de ces considérations démontre la nécessité pour tous les Etats de coopérer afin de penser des mesures de prévention et de protection. C’est tout l’objet de la proposition de résolution que je vous invite aujourd’hui à adopter, mes chèrEs collègues.

Comme je l’ai rappelé précédemment, les migrations environnementales s’effectuent principalement entre les États du Sud. Il appartient néanmoins aux pays dits développés, historiquement grands émetteurs de gaz à effet de serre, d’aider ces pays à protéger les personnes déplacées, compte tenu du principe des responsabilités communes mais différenciées, et d’assumer les obligations relatives au soutien financier et technique.

La 21e Conférence des Parties à la Convention-Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques qui se tiendra au Bourget à partir du 30 novembre prochain constitue un cadre propice à la discussion de cette problématique. Cette proposition, si elle est votée par notre Assemblée, incitera la France, en lui donnant la primauté, à promouvoir, dans le cadre de la COP21, ainsi qu’au sein des institutions européennes et internationales, la mise en œuvre de mesures de prévention et de protection des déplacés environnementaux présents ou à venir, qui, aujourd’hui, ne bénéficient d’aucune reconnaissance.

Je vous remercie de votre écoute.

 

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