PPL n° 98 :
relative aux mesures de surveillance des communications électroniques internationales
(Procédure accélérée)
– Discussion générale –
Mardi 27 octobre 2015, 6 minutes
Esther Benbassa, Sénatrice EE-LV
Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Monsieur le Président de la Commission des lois,
Monsieur le rapporteur,
Mes ChèrEs collègues,
Nous examinons aujourd’hui un texte de nos collègues du groupe socialiste, républicain et citoyen de l’Assemblée nationale Patricia Adam et Philippe Nauche, consacré à la surveillance des communications électroniques internationales, et dont l’objet est de corriger des dispositions de la loi renseignement censurées par le Conseil constitutionnel. Censurées, je le rappelle, au motif qu’elles ne comportaient pas suffisamment de garanties pour les citoyens, s’agissant notamment des conditions d’exploitation, de conservation et de destruction des renseignements collectés, ainsi que du contrôle par la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR).
Comme dans le cas du projet de loi renseignement, le Gouvernement a décidé d’engager la procédure accélérée, conduisant ainsi à un examen expéditif de cette PPL, sans véritable discussion. Or ce texte menace incontestablement les droits fondamentaux de nos concitoyens et des citoyens étrangers, notamment le droit au respect de leur vie privée et de leur correspondance.
On se souvient peut-être que M. le Président de la Commission des Lois, notre collègue Philippe Bas, avait lui aussi déposé une PPL ayant le même objet. Mais que M. le Président du Sénat, lui, avait décidé d’interroger le Conseil d’État sur ce texte, de sorte à en évaluer les risques constitutionnels éventuels. Beau paradoxe. Quand la gauche suit sans s’interroger la pente glissante ouverte par le PJL renseignement, au nom de la lutte contre le terrorisme, c’est donc la droite sénatoriale qui s’inquiète de la sauvegarde de nos libertés…
Le texte dont nous débattons confère un cadre juridique officiel à des pratiques de surveillance internationale déjà en cours. Rappelons en effet ne serait-ce que le décret secret de Nicolas Sarkozy, en 2008, autorisant la DGSE à espionner les communications internationales transitant par les câbles sous-marins reliant l’Europe au reste du monde.
Ce texte confie également au Premier ministre le pouvoir d’autoriser la surveillance de certaines communications émises de ou reçues à l’étranger, comme c’est le cas dans la loi renseignement pour les communications nationales.
Le groupe écologiste considère que le champ d’application de ces dispositions est bien trop large et qu’elles donnent aux services de renseignement une marge de manœuvre excessive. Ces derniers pourront en effet collecter massivement des données de connexion et des communications émises de ou reçues à l’étranger aux motifs notamment des intérêts majeurs de la politique étrangère, des intérêts économiques ou industriels de la France, ou encore de la prévention du terrorisme.
Ce dispositif concerne en outre un nombre considérable d’individus et de communications. Il implique la collecte par défaut des communications entre les personnes dont les identifiants sont rattachables au territoire national, mais dont les communications passent par l’étranger, via Google, Skype, Hotmail, Whatsapp, que nous utilisons quotidiennement. De plus, les renseignements collectés seront détruits à l’issue de durées contestables, jusqu’à six ans pour les données de connexion et jusqu’à huit ans pour les données chiffrées.
La CNCTR dispose d’un mince pouvoir. Elle ne sera informée des mesures de surveillance qu’a posteriori. Le Défenseur des droits insiste pourtant sur la mise en place d’un contrôle effectif a priori, lequel, pense-t-il, « constituerait indéniablement une garantie supplémentaire, permettant d’écarter, en amont, la mise en œuvre de toute atteinte qui serait disproportionnée au droit au respect de la vie privée ainsi que tout risque d’abus de la part de l’exécutif ».
Plusieurs associations, dont Amnesty International France, ont elles aussi critiqué ce texte. Le Commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe a lui-même émis des craintes et des réserves dans une interview accordée à la radio-télévision suisse SRF (Schweizer Radio und Fernsehen).
Difficile à amender, tant ses dispositions sont délibérément floues, cette PPL au lieu de protéger la sécurité de nos concitoyens, risque plutôt de conduire à l’installation d’un climat social délétère, faisant de chacun d’entre nous un suspect potentiel, et justifiant la mise en place d’une surveillance de masse que nous avions pourtant tous dénoncée après les révélations d’Edward Snowden.
Les écologistes voteront contre ce texte, au potentiel liberticide patent. D’autres pourraient en effet un jour l’utiliser à des fins différentes que la lutte contre le terrorisme.
Je vous remercie.