Intervention d’Esther Benbassa en séance lors de la discussion générale de la commission paritaire mixte sur le projet de loi renforçant les mesures de lutte contre le terrorisme (4 novembre 2014)

PJL n°10, 38 :

renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme

 (PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE)

– Discussion générale –

Mardi 4 novembre 2014

Esther Benbassa, Sénatrice EE-LV

 

 

Monsieur le Président,

Madame la Secrétaire d’Etat,

Monsieur le Président de la commission des lois,

Messieurs les rapporteurs

Mes ChèrEs collègues,

 

Nous examinons aujourd’hui les conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme.

J’ai eu l’opportunité de le dire lors de la première lecture, le texte initial déposé par le gouvernement n’était pas sans poser de problèmes.

Du point de vue de la méthode d’abord avec le déclenchement de la procédure accélérée et le peu de temps accordé aux parlementaires pour la réflexion.

Sur le fond ensuite, parce que l’on ne peut, au prétexte que la lutte contre le terrorisme est nécessaire, faire adopter un texte dont certaines dispositions sont susceptibles de porter atteinte aux libertés individuelles.

La lutte contre le terrorisme est une nécessité impérieuse et, chacun aura eu l’occasion de le signaler, les progrès irrésistibles de l’implantation de l’« Etat islamique » sur le terrain, dans une région à feu et à sang depuis des années, ainsi que l’insupportable assassinat de notre compatriote Hervé Gourdel en Algérie et les différentes décapitations d’Occidentaux, sont venus nous rappeler notre vulnérabilité face à l’obscurantisme.

Le groupe écologiste, que je représente aujourd’hui, a pleine conscience du devoir qui est le nôtre de mener un combat résolu contre toutes les formes de terrorisme et de violence.

Toutefois, j’ai eu l’occasion de le dire lors de la première lecture, nous sommes également convaincus que la volonté de rendre plus efficace notre légitime lutte contre le terrorisme ne justifie assurément pas qu’on brade les libertés individuelles.

Je veux également réaffirmer ici, comme je l’ai fait il y deux ans, comme je l’ai fait il y a quelques semaines, qu’il est surtout urgent de s’attaquer aux causes profondes de l’émergence d’un terrorisme désormais endogène.

Peut-être faut-il légiférer, mais il est surtout urgent de travailler en amont, de tout faire pour tenter de comprendre pourquoi ces jeunes, y compris nombre de récents convertis à l’islam, se découvrent soudain une vocation de djihadiste.

Nous pouvons adopter toutes les lois, toutes les mesures dissuasives ou répressives, j’en suis convaincue, nous ne pourrons endiguer un phénomène que nous ne comprenons pas.

Comme en première lecture, la question qui se pose à nous est celle de savoir si le texte issu de la commission mixte paritaire atteint le juste équilibre entre efficacité de la lutte contre le terrorisme et protection des libertés individuelles qui sont au fondement de notre démocratie.

Considérant que le projet de loi initial n’était pas satisfaisant du point de vue de la protection des libertés individuelles, le groupe écologiste s’y était opposé.

Nous constatons à regret que le texte de la commission mixte paritaire ne l’est pas davantage.

Je ne reviendrai pas sur l’ensemble des mesures prévues, mesures qui posent de nombreux problèmes et qui constituent des atteintes : à la liberté d’aller et venir, à la liberté de circulation dans l’espace Schengen, au principe du contradictoire, au principe de l’absence de répression des actes préparatoires, au principe de proportionnalité…

La liste est longue !

Par ailleurs, si les lois antiterroristes sont nécessaires, Madame la Secrétaire d’État, elles ne doivent pas poursuivre d’autres objectifs, justement, que la lutte contre le terrorisme, et ne doivent pas pouvoir être instrumentalisées à d’autres fins.

Que penser, à cet égard, de l’article 1er bis, introduit au Sénat par la voie d’un amendement du gouvernement et qui ne créé rien de moins qu’une interdiction administrative du territoire français ?

Il s’agit ici de pouvoir interdire l’entrée en France d’un ressortissant de l’Union européenne, n’en déplaise au principe de liberté de circulation, s’il représente « une menace » pour la sécurité publique. La menace, si elle doit être « réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société », ne doit pas forcément être en lien avec une entreprise terroriste, le mot n’étant même pas utilisé.

Vous comprendrez, Madame la Secrétaire d’État, notre inquiétude, partagée par de nombreuses associations et défenseurs des droits des étrangers, quant à l’utilisation qui pourrait être faite de cette mesure.

La définition est beaucoup trop large et permet, en réalité, d’interdire l’accès au territoire à peu près à tout le monde.

Certains ont pu y voir un « amendement anti-roms » et je ne suis pas loin de partager cette vision. Peut-être cette mesure ne sera-t-elle pas appliquée à cette fin sous votre administration, Madame la Secrétaire d’État, mais elle continuera d’exister après et de pouvoir être utilisée à des fins de gestion des flux migratoires au sein de l’Union Européenne.

Dois-je vous rappeler, ChèrEs collègues, que le Conseil d’Etat a considéré, le 1er octobre dernier, que la « mendicité agressive » d’une famille rom constituait une menace touchant aux intérêts fondamentaux de la société !

En l’espèce, la femme concernée n’avait été ni condamnée ni même poursuivie pénalement…

Cette mesure à elle seule, et la manière dont elle a été introduite, symbolise l’esprit d’un texte dont les dispositions sont au mieux inefficaces, au pire, susceptibles de porter atteinte aux libertés et droits fondamentaux que nous avons pour mission de protéger.

En toute cohérence, le groupe écologiste n’apportera pas son soutien au présent projet de loi.