Intervention d’Esther Benbassa dans le cadre de la seconde lecture du projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes (17 avril 2014)

PJL n° 321, 426 et 444 :

pour l’égalité entre les femmes et les hommes

Discussion générale

Jeudi 17 avril 2014

Esther Benbassa, Sénatrice EE-LV

 

 

 

Monsieur le Président,

Madame la Ministre,

Mesdames les rapporteures,

Madame la Présidente de la délégation aux droits
des femmes,

Mes ChèrEs collègues,

 

Le texte qui nous est soumis aujourd’hui a été étoffé et renforcé par le travail parlementaire et il est plus à même de rendre véritablement effective l’égalité entre les femmes et les hommes, à condition que ses auteurs aient la volonté politique de mettre à exécution les différentes dispositions qui y sont incluses.

 

Colette Guillaumin, dans son livre Sexe, race et pratique du pouvoir (1992, p. 119), écrivait ceci : « si les femmes sont des objets dans la pensée et l’idéologie, c’est que d’abord elles le sont dans les rapports sociaux, dans une réalité quotidienne dont l’intervention sur le corps est l’un des éléments clés. Ces mêmes interventions jouent pour les hommes dans le sens de la construction d’un sujet, sujet de décision et d’intervention sur le monde. »

 

Le projet de loi dont nous débattons aujourd’hui est de ceux qui peuvent aider la société à opérer la transition, dans les mentalités, de la femme-objet à la femme-sujet. Il est également de nature à endiguer les violences auxquelles le corps féminin est soumis par certains hommes, de même que son appropriation par l’esclavage ou le servage. Le rapport de pouvoir des hommes sur les femmes est de fait à analyser, toujours selon Colette Guillaumin, en tant que rapport de « classes de sexe ».

 

La vigilance est donc toujours et plus que jamais de rigueur. Au détour d’un amendement que l’on pourrait presque qualifier de rédactionnel, nos collègues députés ont pu constater qu’il n’est pas de droit acquis qui ne puisse faire l’objet d’une remise en cause rétrograde.

 

Je songe, on l’aura compris, à l’article 5 quinquies C qui prévoit la suppression de la référence à la notion de « détresse » dans le cadre d’une demande d’interruption volontaire de grossesse et au 5 quinquies qui étend le délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse. C’est bien du corps de la femme qu’il est encore ici question. De cet « objet » au sujet duquel on croit encore, de haut, avoir le droit de dire ce qui est bien et ce qui est mal.

 

Il n’est pas inutile de le rappeler : les thématiques soulevées par le féminisme des années 1970 tournaient en grande partie autour du corps. Et pour cause. La liberté d’avortement avait été l’enjeu fondamental les luttes de cette époque-là. Les slogans répétés étaient révélateurs, ils étaient clairs: « un enfant, si je veux, quand je veux », « c’est à nous de décider », « la politique sur notre corps ne se fera pas sur notre dos ». Il s’agissait de faire de la maternité un choix. Les femmes mettaient en avant autant une capacité de décision morale que leur simple droit de « propriété » sur leur propre corps.

 

Aujourd’hui que nous avons avancé sur le chemin de l’égalité, nous ne voulons plus, nous ne pouvons plus accepter ce mot de « détresse », figurant dans la loi initiale autorisant l’IVG, qui place notre droit de choisir la maternité en seconde position.

 

Le droit à l’IVG est un acquis fondamental. Or le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes constate, dans son récent rapport de 2013, presque quarante ans après son inscription dans la loi, que le droit à l’avortement reste un « droit à part ». Et qu’il n’est toujours pas un « droit à part entière ».

Face à ces reculs, face à ces menaces, nous voterons, nous écologistes, avec conviction et enthousiasme, l’article 5 quinquies C qui affirme simplement le droit des femmes à disposer de leur corps, celles-ci étant, en tant que sujets matures et éthiques, les seules juges de leur état et des motifs pour lesquels elles ont recours à une IVG.

 

Mais revenons au texte dans son ensemble, qui paraît, Madame la Ministre, avoir recueilli un certain consensus auprès des parlementaires. Le groupe écologiste lui-même se félicite bien évidemment que la promotion de l’égalité entre les femmes et les hommes et la lutte contre les discriminations sexistes fassent l’objet d’une loi d’une telle ampleur.

 

Nous aurions toutefois souhaité que, sur certains aspects, ce projet de loi ait été plus ambitieux encore. Sur la protection contre les violences notamment. Si le texte contient de nombreuses avancées en matière d’ordonnance de protection, nous nous interrogeons sur les moyens qui y seront dédiés. Or dans la lutte contre les violences conjugales comme dans la lutte contre la traite, l’argent est évidemment le nerf de la guerre.

 

Il faut créer plus de places d’hébergement d’urgence pour les 200 000 femmes qui sont chaque année victimes de violences conjugales. Il faut donner les moyens aux services de police de lutter efficacement contre la traite des êtres humains, les condamnations pour des faits de traites étant encore trop peu nombreuses.

 

De même, il nous semble que ce texte, s’il contient quelques avancées pour les femmes étrangères, manque là encore, décidément, d’ambition.

 

Vous nous avez souvent opposé, Madame la Ministre, qu’il fallait attendre la grande réforme du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Mais cette réforme se fait attendre justement, et nous avons l’opportunité, dans des délais plus courts, de prendre des mesures importantes pour la vie et l’avenir des femmes étrangères victimes de violences sur notre territoire. C’est la raison pour laquelle nous défendrons, comme en première lecture, des amendements allant dans ce sens.

 

Notre volonté n’est en l’occurrence que d’enrichir un texte déjà fort solide. Un texte que les six femmes et les six hommes du groupe écologiste voteront sans faillir, avec détermination et conviction.

 

Je vous remercie.