Intervention dans le cadre de la Discussion Générale sur la Proposition de Loi « Agir contre les violences au sein de la famille »

Le mercredi 6 novembre, Esther Benbassa intervenait dans l’hémicycle au Sénat, dans le cadre de la Discussion Générale sur la Proposition de Loi « Agir contre les violences au sein de la famille ».

 

Monsieur le Président,

Madame la Ministre,

Madame la Rapporteure,

Mes CherEs collègues,

Aujourd’hui, nous ne parlerons pas de « drames familiaux ». Ni de « crimes passionnels ». Nous n’emploierons aucun de ces termes minimisant la réalité d’une situation insoutenable. Celle de ces femmes battues à qui, un jour, leur conjoint ôte la vie. Nous ne tolérerons plus que l’espace politique ignore cette violence systémique, nourrie par un patriarcat ancestral, qui laisse penser à de nombreux hommes qu’ils ont un droit de vie et de mort sur leur compagne, conjointe ou ex-conjointe.

Nous parlons ici d’un véritable problème de société, d’une pandémie. Depuis début 2019, 129 femmes sont mortes des mains de leurs conjoints ou ex-conjoints. Ce qui équivaut à plus d’un féminicide tous les trois jours. Depuis le jour où un élu régional s’en est pris au voile d’une mère musulmane accompagnatrice de sortie scolaire et depuis la polémique qui s’en est suivie, statistiquement plus de huit femmes ont eu le temps de mourir sous les coups de leurs agresseurs. Ce chiffre souligne l’inanité de nos débats sur le voile face à la gravité de la situation concrète des femmes battues. Il y a urgence à agir.

Ces violences s’exercent dans tous les milieux sociaux, à tous les âges et sur l’ensemble du territoire. Et elles ne semblent pas décroître.

Les féminicides ne sont pourtant pas une fatalité. En Espagne, en 2005 et 2009, deux lois majeures ont été adoptées contre les violences faites aux femmes. Les résultats sont tangibles, puisque les meurtres perpétrés par les conjoints sont passés de 71 en 2003 à 44 en 2019.

Il y a lieu de saluer le travail de notre collègue député Aurélien Pradié et le dépôt par ses soins de cette proposition de loi. Celle-ci tente en effet de dégager de véritables solutions de fond pour combattre les féminicides, quand le Gouvernement paraît se contenter de faire de la communication sans effets concrets. On attend les conclusions du fameux Grenelle…

Nos politiques publiques ne sont tout simplement pas à la hauteur tant en termes de budget qu’en termes d’arsenal juridique.

Nous n’avons consacré cette année que 79 millions d’euros à la lutte contre les violences faites aux femmes, alors même que cette thématique devait être l’une des grandes causes du mandat du Président Macron. Vous en conviendrez, mes cherEs collègues, qu’il s’agit là d’une dépense résiduelle si on la met en rapport avec le budget total de l’État. À titre de comparaison, rappelons que nos voisins espagnols, eux, mettent en œuvre des stratégies de long terme, à travers des plans quinquennaux dotés de moyens à hauteur d’1 milliard d’euros.

Selon le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, 500 millions d’euros par an seraient nécessaires pour protéger les femmes qui portent plainte, et 1,1 milliard pour protéger toutes les femmes en danger. Il est à espérer que l’exécutif aura ces chiffres en tête lorsque la dernière main sera mise au Projet de Loi de finances 2020…

Notre arsenal juridique se révèle lui aussi insuffisant face aux dangers que tant de femmes courent au quotidien au sein même de leur foyer.

Plusieurs points dans cette PPL vont dans le bon sens. Ainsi la réforme de l’ordonnance de protection. Actuellement, la durée moyenne de sa délivrance est de 42 jours. Ramener légalement ce délai à 144 heures est un gage de protection renforcée pour les victimes. En outre, le fait que ce dispositif puisse désormais être sollicité par tout moyen, sans dépôt de plainte préalable, devrait faciliter sa mise en œuvre.

L’aide personnalisée au logement pour les personnes cibles de violences conjugales ou le déploiement favorisé du Téléphone Grave Danger sont aussi de véritables progrès.

Ajoutons enfin que si la répression des violences conjugales est évidemment un devoir, elle restera insuffisante si elle n’est pas accompagnée par la formation des personnels accueillant les victimes de ces violences et par l’éducation de nos enfants, dès le plus jeune âge, à l’égalité entre garçons et filles, entre hommes et femmes. Pour en finir, s’il est possible, avec le fléau de la domination masculine.

Dans un esprit constructif, notre groupe déposera quelques amendements dans le but, non de dénaturer cette PPL, mais d’en accroître l’efficacité.

Nous voterons en faveur de ce texte parce que la lutte contre les féminicides devrait être l’une de nos priorités. Parce que nous le devons à Monica, Yaroslava, Taïna, Moumna, Leïla, Gulçin, Nadine et aux dizaines d’autres femmes mortes sous les coups de leurs conjoints. Que nul ne les oublie !

Je vous remercie.