« Il n’y a pas de nouvel antisémitisme mais une évolution de l’antisémitisme » (La Croix, 29 mars 2018)

Esther Benbassa  : « Chez ceux pour qui les juifs sont responsables de la politique d’Israël »

Constate-t-on un nouvel antisémitisme en France ? Le point de vue d’Esther Benbassa, sénatrice EELV de Paris, Directrice d’étude à la section des sciences religieuses de l’École Pratique des hautes études (Sorbonne)

Esther Benbassa/Coquelin

Esther Benbassa / Coquelin

Il n’y a pas de nouvel antisémitisme mais une évolution de l’antisémitisme. Il y a d’abord eu l’antijudaïsme chrétien du Moyen Âge, à base religieuse, contre le juif déicide qui n’a pas reconnu Jésus comme le Messie. Le mot antisémitisme est ensuite apparu au XIXe siècle, ajoutant une base économique, voire « raciale », à la haine des juifs, supposés riches et capitalistes, maîtres du monde et exploiteurs de la classe ouvrière. Cette thématique était présente aussi bien chez des chrétiens sociaux que chez des socialistes. L’antisémitisme a mené au génocide hitlérien. Depuis, plus personne, ou presque, n’ose s’en réclamer ouvertement.

 

Néanmoins, l’antisémitisme d’extrême droite n’a jamais totalement disparu. Depuis plusieurs décennies, nous assistons à une renaissance de l’antisémitisme dans des milieux arabo-musulmans, à travers un basculement du soutien aux Palestiniens à l’idée que tous les juifs seraient responsables et redevables de la politique de l’État d’Israël. C’est dans cette généralisation que réside cet antisémitisme qui se diffuse par les chaînes de télévision satellitaires, par Internet ou par les prêches d’imams islamistes. Cet antisémitisme reprend par ailleurs les thématiques classiques, en particulier le mythe que les juifs seraient riches. Des livres comme Mein Kampf d’Adolf Hitler ou Les Protocoles des Sages de Sion circulent librement dans le monde arabo-musulman. S’il y a beaucoup de juifs dans les professions intellectuelles et supérieures c’est parce que, comme souvent chez les minorités, ils ont globalement un niveau d’étude supérieur à la moyenne. Ce qui ne signifie pas qu’il n’y ait pas aussi beaucoup de juifs pauvres. Sauf que, comme dans toutes les communautés marquées par l’émigration, à l’exemple des Arméniens, il existe chez les Juifs un fort système de solidarité et d’entraide. Ce qui n’est pas le cas chez les Arabes ou les musulmans, qui ne sont pas par tradition des migrants et qui découvrent, en Occident, la condition de minoritaires.

J’ai participé le mois dernier à un colloque de l’Association France Palestine Solidarité intitulé « A-t-on le droit de contester la politique israélienne ? ». Sur ce sujet, il existe le risque d’une double confusion. D’un côté, si critiquer ou boycotter Israël n’a en soi rien antisémite, il peut y avoir des dérives antisémites dans les soutiens aux Palestiniens.

D’un autre côté, il y a chez de nombreux Français juifs l’idée que toute critique d’Israël serait antisémite. Porteur de cet amalgame, le Crif a refusé la présence de Jean-Luc Mélenchon à la marche blanche en hommage à Mireille Knoll.

 

Je ne partage pas toutes les opinions de La France insoumise, mais il ne s’agit pas d’un mouvement antisémite, loin de là.