Réunis depuis la fin de matinée aux abords de la faculté de Jussieu dans le Ve arrondissement de Paris, les gilets jaunes cherchent un endroit où s’abriter. Des trombes d’eau, mêlées parfois de grêle, s’abattent sur les centaines de personnes venues manifester pour ce 26e acte. Les affiches cartonnées sont utilisées en guise de parapluie et quelques cirés recouvrent les gilets. Les irréductibles se tombent dans les bras et se mettent à couvert des grosses gouttes sous les auvents des quelques commerces encore ouverts. Les gendarmes, en nombre, bouclent entièrement l’accès à la rue Jussieu et à l’entrée de la faculté, tandis que des CRS, casqués, forment un cordon rue Linné, en tête de cortège. Au moment de s’élancer à travers les rues de l’arrondissement en direction de l’université Paris-3-Sorbonne-Nouvelle, une minute de silence est respectée en l’honneur des deux soldats du commando Hubert, disparus lors de la mission de sauvetage des otages français au Burkina Faso.«Malgré la pluie on est toujours là ! Vous pouvez vous applaudir. Tant que Macron ne nous aura pas donné le RIC (référendum d’initiative citoyenne) on ne lâchera rien ! Nos militaires prennent des risques pour qu’on puisse vivre, mais le gouvernement n’est pas digne d’eux, ni de notre police», harangue un manifestant, protégé du déluge par son chapeau de cow-boy tricolore. Aux alentours de 13 heures, avec un peu de retard, la marche en soutien aux professeurs contre la loi Blanquer débute.

«Déclaration d’amour»

Habituée des samedis de manifestation, Esther Benbassa est bien entourée. Une dizaine de gilets jaunes se masse autour de la sénatrice du parti Europe Ecologie Les Verts. «Vous voyez là une déclaration d’amour, sourit-elle. Je suis une démocrate. Je demande qu’il y ait plus de pouvoir d’achat et une société meilleurs pour leurs enfants, qu’ils aient le droit à une meilleure vie. Car être dans le besoin le 20 du mois, ce n’est pas une vie. Et je continuerai à les soutenir.» Derrière une banderole en soutien aux corps enseignant, Maria, 52 ans, agente territoriale spécialisée des écoles maternelle (Atsem) témoigne: «Notre métier n’est pas reconnu par la collectivité ni par l’Education nationale. Nous sommes toute la journée auprès des enfants. Du matin au soir. L’acronyme ne représente pas le métier lui-même car quelque part, nous sommes aussi des éducateurs» Les slogans en soutien au corps enseignant retentissent font retentir. «Plus de places à la fac, pour ne pas finir à la BAC (brigade anticriminalité)», «plus de places au lycée pour ne pas finir policier», chantent les manifestants, au rythme des cuivres et de la caisse claire de la fanfare. Selon les chiffres du ministère de l’Intérieur, quelque 2 700 manifestants se sont rassemblés en France à 14 heures, dont 600 à Paris.

Le pas est soutenu et le cortège passe rapidement autour de la place d’Italie, toujours encadré par les forces de l’ordre. Sous son coupe-vent vert, Laurence semble se battre contre l’orage : «Depuis le 1er mai, les manifestations se passent toujours bien à Paris. A mon avis, les autorités ont bien vu qu’elles étaient allées trop loin. Tous les médias ont montré comment la police avait traité les manifestants. Lorsqu’il y a les gendarmes, cela se déroule mieux.» Devant l’université de Tolbiac, quelques étudiants curieux font signe au cortège et certains leur souhaitent bon courage. Le cortège passe rapidement dans le quartier de la BNF. En fin d’après midi, alors que l’orage a cessé, la manifestation arrive progressivement au niveau de l’esplanade Pierre Vidal-Naquet.

«Ecole morte»

Après une journée sous l’eau, le soleil est finalement revenu et les gilets jaunes s’installent sur la chaussée. Certains décident de casser la croûte, tandis que beaucoup de manifestants, détrempés, se dirigent vers les divers jardins alentour. L’ambiance du parcours a été encore une fois bon enfant, aucune casse n’a été constatée. La dispersion se fait dans le calme sur les quais de Seine. Alors que des marches des stylos rouges en soutien au corps enseignant étaient également prévues en Seine-Saint-Denis et en Seine-et-Marne, William, professeur des écoles, a fait le choix de marcher au côté des gilets jaunes. «Hier, il y avait une opération « école morte », à l’initiative des parents qui choisissent de ne pas amener leur enfant à l’école. Certaines communes ont suivi le mouvement et cela se fait au niveau local», explique l’homme de 42 ans basé à Montreuil. «Dans cette ville, les citoyens se mobilisent. Profs et gilets jaunes !» »

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