Par Erwan Bruckert
Devant l’association de la presse présidentielle, mardi dernier, François Hollande a plébiscité la candidature de l’ancien ministre de l’Intérieur Jean-Pierre Chevènement pour prendre la direction de la Fondation pour les oeuvres de l’islam de France, censée, à l’automne prochain, contrôler le financement privé des lieux de culte musulman. Le souverainiste, connaisseur du dossier, a dans la foulée semblé accepter le job : « C’est une tâche difficile à laquelle on ne se dérobe pas », a-t-il confié au journal Le Monde. Mais l’homme est-il le bon choix pour ce poste ? La question n’a pas tardé à soulever nombre de réactions. En voici un petit tour d’horizon.
Cazeneuve et Le Foll applaudissent
Le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve ne tarit pas d’éloges à propos de l’ancien locataire de la place Beauvau, chantre de la laïcité et ardent défenseur des valeurs républicaines. « Chevènement, grande figure de la gauche républicaine, est respecté dans le monde arabo-musulman depuis son opposition à la guerre en Irak, et il aura la stature nécessaire pour solliciter des fonds auprès des entreprises et de riches donateurs du monde arabo-musulman », dit-on place Beauvau, comme le rapporte le journal Le Monde.
Stéphane Le Foll, lui aussi, soutient le choix de François Hollande. Mercredi, lors de la conférence de presse post-conseil des ministres, le porte-parole du gouvernement a déclaré qu’il y avait besoin d’« une personnalité qui puisse être un médiateur fort, à la fois ferme sur les grands principes de la laïcité et ouvert pour permettre à l’ensemble des cultes d’assurer leur exercice dans le cadre de la République ». Chevènement serait-il alors l’homme idéal ? Tous les membres du gouvernement ne sont pas sur la même longueur d’onde…
À gauche, des critiques s’élèvent
La nomination de Jean-Pierre Chevènement ne semble pas faire l’unanimité dans les rangs de la gauche. Au sein même du gouvernement, une voix s’est élevée pour remettre en cause le choix du président de la République : celle de Laurence Rossignol, ministre de la Famille, de l’Enfance et des Droits des femmes. Invitée mercredi à s’exprimer au micro de France Info, elle a décliné les caractéristiques qu’elle souhaitait voir chez le prochain président de la fondation : « Le bon profil, selon moi, c’est d’abord quelqu’un de culture musulmane, qui ait une connaissance de la subtilité humaine de l’islam, quelqu’un de laïque et peut-être, le meilleur profil, ce serait une femme également (…) pour apporter la dimension d’égalité homme-femme, une dimension moderne et républicaine. » On l’aura compris, l’ex-ministre de l’Intérieur n’est pas tout à fait raccord avec le portrait-robot décrit par Laurence Rossignol. « Déjà, il ne correspond pas au troisième critère que je viens d’évoquer, c’est-à-dire une femme », s’amuse la ministre.
Plus à gauche sur l’échiquier politique, Esther Benbassa s’est également montrée critique à l’égard de la nomination de Jean-Pierre Chevènement. Et c’est sur Twitter que la sénatrice Europe Écologie-Les Verts a décidé de s’exprimer, s’en prenant aussi bien à l’homme qu’à l’idée de redonner une seconde vie à la Fondation pour les oeuvres de l’islam de France. Une illustration que 140 caractères sont amplement suffisants pour déverser sa colère…
Au centre et à droite, la légitimité de Chevènement remise en question
De l’avis de beaucoup de responsables de l’opposition, Jean-Pierre Chevènement est un homme estimable. « Il est respecté et d’expérience » pour Brice Hortefeux, « une personnalité qui compte, un vrai républicain » pour Nadia Hamour ou encore « un homme politique intègre, faisant toujours passer ses idées avant ses propres intérêts » pour Thierry Solère. Cela dit, ces compliments ne sauraient cacher bien longtemps de profonds doutes quant à la nomination de Chevènement à la direction de la Fondation pour les oeuvres de l’islam de France.
François Bayrou, invité jeudi matin sur le plateau d’i>Télé, s’est montré particulièrement dubitatif : « C’est un choix surprenant et qui pose des questions », explique le président du MoDem. « Proposer, pour prendre la tête de cette organisation, quelqu’un qui n’est pas de culture musulmane, qui n’est pas de sensibilité musulmane et qui n’est pas de culture religieuse, pour moi, c’est une interrogation. Comment voulez-vous que les musulmans de France aient ce sentiment de responsabilité si on leur dit en fait : C’est de l’extérieur et par des responsables tout à fait estimables – Jean-Pierre Chevènement est dans ce cas-là –, mais qui ne partagent ni votre foi, ni votre culture, ni votre manière de voir, qu’on va régler le problème du financement de vos lieux de culte. »
Toujours au centre – quoiqu’un tantinet plus à droite –, la parlementaire UDI Nathalie Goulet a, elle aussi, montré son profond désaccord. La sénatrice de Normandie a multiplié les cris du coeur numériques sur Twitter, entre quelques gazouillis sur la guerre américaine en Irak, la taxe halal et Pokémon Go.
Même son de cloche du côté des Républicains, à l’image de Brice Hortefeux au micro de RTL jeudi matin. L’ex-ministre de l’Intérieur de Nicolas Sarkozy n’a pas compris pourquoi le choix de François Hollande s’était porté sur son prédécesseur de la Place Beauvau, et l’a fait comprendre en mettant à profit son sens aigu de la comparaison : « C’est un choix quand même surprenant puisque [Jean-Pierre Chevènement] est totalement étranger à la religion musulmane. C’est comme si, pour la présidence de la Conférence des évêques de France, on faisait appel à un bouddhiste », a-t-il déclaré.
Le fidèle lieutenant de Nicolas Sarkozy est suivi dans ses propos par Nadia Hamour, secrétaire nationale des Républicains chargée de l’intégration : « La nomination de Jean-Pierre Chevènement n’amène aucune valeur ajoutée. Je pense qu’il faudrait une femme, cela aurait plus de sens. »
Mais, plus que sur le simple choix de l’homme, c’est sur l’idée même de donner à la Fondation pour les oeuvres de l’islam de France le contrôle du financement des lieux de culte que certains s’interrogent. Parmi ceux-là se trouve Thierry Solère, le député des Hauts-de-Seine chargé de l’organisation de la primaire de la droite : « Tout cela est difficilement compréhensible, commence par confier le soutien de Bruno Le Maire. On ressuscite cet organisme qui n’avait jamais vraiment fonctionné pour cause de bazar interne. À écouter le chef de l’exécutif, il assignerait à la fondation le contrôle du financement des lieux de culte en France… Mais, par nature, cela devrait dépendre du ministère de l’Intérieur. Ce sont aussi les préfets qui doivent veiller au respect de la loi. Donc je trouve très étonnant de donner ce pouvoir-là à un organe extérieur. »