Pas de jour où l’on n’entende le mot. Mot magique, prononcé avec gravité, et toujours pour rappeler les politiques à leurs devoirs. Guère employé, en revanche, s’agissant des citoyenNEs. Et pourtant, leur « exemplarité » ne serait pas moins souhaitable, fort nécessaire même, dans un pays frappé par le pire désarroi économique, où la violence des rapports humains et l’absence d’égards pour autrui sont devenus le lot quotidien. Une « exemplarité » qui, en l’occurrence, trouverait à s’exprimer dans une authentique solidarité.
Mais n’en parlons plus. Voilà qui n’effleure manifestement pas l’esprit de la plupart de ceux qui décrivent à longueur de journée la pureté sans tache des mœurs politiques qu’ils appellent de leurs voeux. Alors moi, s’il faut absolument retenir le mot, je préfère encore parler d’exemplarité de la République. Ni plus, ni moins. Voilà une exigence englobante qui, dans ma vision des choses, concerne aussi bien les électeurs que leurs élus, les patrons, les hauts fonctionnaires, les journalistes même, y compris ceux qui dénoncent à loisir les mauvais exemples donnés par la classe politique, à droite, mais aussi, et parfois surtout, à gauche.
Si on faisait un calcul exact, les politiciens inexemplaires -si je peux oser ce néologisme- ne se révéleraient pas si nombreux. Il y a bien quelques grosses, quelques énormes affaires. C’est vrai. Mais pour chaque mandat, on les comptera sur les doigts d’une main, au maximum de deux mains. Alors pourquoi ce zèle, ce bruit, cette fureur à les vouloir tous, sans exception, absolument exemplaires? Il y aurait des citoyens fraudeurs, et il n’en faudrait absolument aucun au sein de cette fameuse caste politique, si impopulaire aujourd’hui? On peut toujours rêver. Les uns comme les autres ne sont que des hommes et des femmes. Et l’on ne s’étonnera pas qu’ils se ressemblent.
Une panique mauvaise conseillère
La fraude et le mensonge de notre ancien ministre du Budget ont semé la panique dans l’exécutif. C’est ce qui nous vaut ces projets de lois sur la fraude fiscale et la transparence de la vie politique, en débat à l’Assemblée et bientôt au Sénat. Des projets qui ne font, paradoxalement, qu’aggraver les préjugés négatifs de nos concitoyenNEs sur leurs éluEs. A y regarder de près, notre acteur préféré, aux multiples passeports, lorsqu’il fait migrer ses deniers en Belgique, n’enfreint pas la loi. Mais est-il plus « exemplaire » que Jérôme Cahuzac ? Et toutes ces grosses fortunes qui s’adonnent à ce genre de sport depuis des lustres, en toute impunité ?
A quel Français, à quelle Française demandera-t-on, sans qu’il ou elle proteste vigoureusement, de publier l’intégralité de ses revenus et de son patrimoine? Ne se mettrait-on pas à crier que les libertés individuelles, dans ce pays, sont bafouées par une gauche qu’on taxerait de dogmatique, voire de dictatoriale? Les éluEs, eux, doivent le faire, la loi les y obligera bientôt, si aucun obstacle constitutionnel ne s’y oppose. Mais alors, pourquoi tout le monde n’y passerait-il pas? Les Dupont, les Durand, les sportifs, les acteurs, les banquiers, les PDG des grandes entreprises, les vedettes des médias, etc.? Histoire de s’assurer que tout le monde lave bien plus blanc que blanc.
Seulement une question d’argent ?
Ceci dit, l’exemplarité serait-elle donc, s’agissant des politiques, seulement affaire d’argent? Au fond, s’en tenir là, c’est sans doute se mettre au diapason de l’idéologie du « tous pourris », qui ne mène pas loin, ou dans le mur. Mais c’est finalement -et surtout- peu demander à ceux qui tiennent les rênes de la République. La vraie « exemplarité » exigible des politiques n’est-elle pas autre? Attend-on d’eux seulement ou principalement de gérer sobrement leur compte en banque?
Ou plutôt et surtout d’être davantage en phase avec les Français et avec leurs problèmes? De résister aux lobbies? De mieux servir l’intérêt général en essayant de sortir des sentiers battus pour chercher et pour trouver des solutions innovantes? De répondre aux attentes d’une population qui se sent désorientée en cette période de technologisme débridé, de chômage, de globalisation, d’évolutions sociales déstabilisantes? De s’adonner un peu moins aux petits jeux politicards dont nos hommes politiques, souvent bien plus que leurs consoeurs, sont si friands?
Les fléaux de la République
De quitter des yeux, un petit moment, l’écran de leurs outils informatiques pour regarder avec plus d’acuité, et plus d’empathie, les difficultés concrètes de la France et des Français? De prendre davantage part, députés ou sénateurs, à la vie parlementaire? De se distinguer un peu moins, pour certains d’entre eux, par leur absentéisme ? Si l’interdiction du cumul des mandats, réellement nécessaire, règle en partie ce problème, elle ne suffira pas pour remplir nos hémicycles. Trop de mauvaises habitudes ont été prises.
La boulimie législative, autre fléau. Les projets de lois qui donnent l’impression de pleuvoir, en continu et en masse. L’absence de discussion politique approfondie dans les groupes parlementaires en raison d’une surcharge de travail qui retombe souvent sur les mêmes épaules et qui laisse peu de temps pour le faire. Les petites et grandes manœuvres. La concentration du pouvoir, au niveau de l’exécutif, entre les mains de technocrates qui ont eu très peu le loisir (ou le goût) de faire du terrain, pour se familiariser avec les Français en chair et en os. Ces maux-là, avec quelques autres, on les traite comment? Par quelle « exemplarité »? Et pourtant, ce sont bien les maux dont souffre la République.
Une fois la curiosité satisfaite, tout reste à faire
Fraude, détournement de fonds, enrichissement personnel, là n’est sûrement pas l’essentiel. Lorsque nos ministres ont déclaré leur patrimoine, après le temps de la curiosité, est venu celui de l’étonnement. Comment se faisait-il donc que la plupart se révélaient moins fortunés que beaucoup des Français de la classe moyenne supérieure? Leur salaire? Vu le nombre d’heures travaillées et les responsabilités assumées, il n’est même pas à la hauteur de la rémunération d’un PDG de moyenne entreprise. Quant aux parlementaires, non seulement leur salaire est inférieur à celui de leurs homologues allemands ou américains, mais les membres de leurs cabinets sont moins nombreux et moins payés. Il n’y a pas de quoi tomber en pâmoison et les soupçonner de s’enrichir sur le dos du bon peuple.
Maintenant, le ver est dans le fruit. La panique Cahuzac qui a touché notre Président de la République et les projets de loi qui en ont découlé ne diminueront pas la suspicion des citoyens à l’égard de leurs politicienNEs. Au contraire. Le préjugé du « tous pourris » connaîtra un nouvel élan ravageur. Alors même, nous le savons, que nous avons tant d’autres priorités, tant d’autres urgences à traiter.
Démontrer aux Français et aux Françaises que nous sommes exemplaires en matière d’argent? Très bien. Mais ne devons-nous pas plutôt leur montrer que nous sommes à la hauteur de leurs attentes, que nous pouvons transformer le pessimisme chronique de notre peuple en énergie positive et en volontarisme, et ainsi aller de l’avant, rompre avec l’attentisme et le conservatisme?
Les Français et les Françaises ont besoin de projets d’avenir, d’empathie, de réponses à leurs problèmes. Au fond, ni nos revenus, ni notre patrimoine ne les intéressent outre mesure. Une fois leur curiosité satisfaite, on peut compter sur eux pour nous ramener à l’essentiel: que faisons-nous pour rendre leur vie moins pénible, pour améliorer leur quotidien, pour réformer la société dans laquelle ils vivent et où vivront leurs enfants et petits-enfants?
Cessons de les divertir. Passons aux choses sérieuses. Ils apprendront ainsi à nous apprécier plutôt que de s’accrocher, faute de mieux, à des idéologies non-démocratiques. Il est temps de travailler la main dans la main avec nos concitoyenNEs. Et de transformer leurs utopies et les nôtres en réalités tangibles. C’est ce que beaucoup d’entre nous essaient déjà de faire.
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