Examen du PJL de prorogation de l’Etat d’urgence sanitaire (4 et 5 mai)

Lundi 4 mai et mardi 5 mai, Esther Benbassa intervenait à plusieurs reprises en séance dans le cadre de l’examen du PJL de prorogation de l’Etat d’urgence sanitaire.

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes cher.e.s Collègues,

La loi d’urgence du 23 mars a conféré à l’exécutif le pouvoir de limiter les libertés individuelles et publiques. On peut comprendre que cette pandémie, en raison de son ampleur, de son caractère anxiogène, du nombre de contaminations et décès qu’elle provoquait, pouvait justifier de prendre des mesures exceptionnelles.

Encore faut-il que ces mesures soient effectivement exceptionnelles. Et temporaires. Encore faut-il être sûr qu’elles disparaissent bien avec cet état d’urgence lui-même. Nul n’a oublié ces dispositions de l’état d’urgence de 2015 entrées finalement dans le droit commun.

L’état d’urgence est un outil. Ne nous y installons pas. Il ne pallie pas les manquements que la pandémie a rendus plus criants encore. Et d’abord ces choix austéritaires et libéraux successifs en matière de santé publique, qui ont mis nos hôpitaux dans l’état où nous les voyons. Le confinement a été mis en place d’abord pour éviter leur possible engorgement.

Ce sont aussi les choix économiques de nos dirigeants qui ont fragilisé notre industrie. Nous sommes dépendants, entre autres de la Chine, pour ces masques qui n’arrivent pas, pour ces tests qui ne sont pas prêts, pour ces respirateurs qui ne sont pas à la norme. Sans compter le manque de médicaments, ou de blouses pour nos soignants.

Cette pandémie a été affrontée dans la confusion, avec des contradictions multiples, et pas mal d’amateurisme. Le déconfinement semble prendre le même chemin. Nous voulons plus de masques, plus de tests, plus de lits. L’état d’urgence n’est pas la priorité. Il sert juste de bouclier à l’exécutif.

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes cherEs collègues,
Dans le cadre de la loi du 23 mars 2020, le Gouvernement a institué un délit visant à sanctionner les violations réitérées des mesures d’urgence sanitaire. De tels faits peuvent désormais être punis de six mois d’emprisonnement et de 3 750 € d’amende, ainsi que d’une peine complémentaire de travail d’intérêt général.
En ces temps de crise, le discernement dans la sanction de nos concitoyens doit être de mise. Comment justifier par exemple le fait de punir des femmes et des enfants, lorsque ceux-ci violent les mesures d’urgence sanitaire afin d’échapper à des violences intrafamiliales, alors que celles-ci sont en train d’exploser depuis le début du confinement ?
Cette situation est d’autant plus problématique que les témoignages se multiplient, dévoilant des faits de verbalisation irrégulières, abusives et ciblées, notamment dans les quartiers populaires. Le nombre de contraventions dressées est ainsi trois fois plus élevé en Seine-Saint-Denis que sur le reste du territoire français. Alors que nos banlieues connaissent actuellement une détresse sanitaire, sociale et alimentaire grandissante, il n’est vraiment pas nécessaire de les stigmatiser encore davantage.
Enfin, mes cherEs collègues, le placement en garde à vue, la comparution immédiate et l’incarcération potentielle des personnes mises en cause risque de créer un brassage problématique et inopportun en cette période de pandémie. Alors que les sanctions aux manquements à l’état d’urgence sanitaire devraient viser à contenir le virus, en l’occurrence elles pourraient favoriser sa propagation.
Le présent amendement propose donc d’abroger les dispositions visant à sanctionner les violations réitérées des mesures d’urgence sanitaire, qui se trouvent à l’article L3136-1 du code de la santé publique.
Je vous remercie.

Monsieur le Président,

Monsieur le Ministre,

Mes cherEs collègues,

Alors que l’Etat français disposait en 2009 d’un stock de 723 millions de masques de protection FFP2, en mars dernier, seuls 80 millions de masques chirurgicaux étaient encore utilisables par nos services hospitaliers.

Ces chiffres interpellent mais n’étonnent guère lorsque l’on connaît les maux structurels de la France. Depuis plusieurs décennies, les gouvernements successifs se sont appliqués à démanteler notre service public de santé. Ce constat va de pair avec la réalité d’une France globalisée, qui a abandonné son indépendance sanitaire à des puissances étrangères, comme la Chine.

Bien que l’exécutif l’ait nié au début de la crise, il est désormais reconnu que le port du masque est essentiel à la non-propagation du virus. Vous vous êtes enfin décidés à le rendre obligatoire par exemple dans les transports.

Nous aurions pu saluer cette mesure, si sa mise en œuvre n’était pas la parfaite illustration de votre idéologie libérale. Alors que vous auriez pu marquer le grand retour de l’Etat social par une politique industrielle publique ambitieuse, qui aurait permis de distribuer des masques à chacun, notamment aux plus précaires, vous avez fait le choix de laisser le secteur privé à la manœuvre. Dans les jours à venir, 500 millions de masques inonderont les grandes surfaces.

Où étaient ces masques quand nos soignants en avaient besoin ? Où sont désormais les mesures de plafonnement de leurs prix pour les rendre abordables pour tous ?

Cette crise nous aura appris une chose : que le Nouveau Monde n’a de toute évidence rien appris des erreurs de l’Ancien.

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes cherEs collègues,
Depuis quelques semaines, le Gouvernement cherche à développer un dispositif permettant de repérer les chaînes sociales de contamination au sein de la population. Un temps envisagée, l’application mobile Stop-Covid semble avoir été abandonnée au profit d’un système à la fois humain et informatique de « brigades anti-Covid ».
Le mécanisme proposé aura tout d’abord pour objectif le fichage des citoyens malades, afin d’identifier leurs proches. Des « brigades d’anges gardiens » (la terminologie militaire initialement employée ayant été adoucie par un emprunt au vocabulaire religieux), aujourd’hui constituées de seulement 5000 agents de l’Assurance Maladie, auront ensuite pour mission d’informer ces personnes, susceptibles de porter le virus.
Liant fichage des malades, traçage des personnes et recueil des données personnelles et médicales, ce dispositif semble particulièrement attentatoire au respect de nos vies privées.
Bien qu’imparfaite, l’application mobile apportait au moins deux garanties aux Français : celle d’une utilisation volontaire et d’un anonymat plus ou moins assuré.
Ces deux verrous semblent avoir sauté.
L’idée de Stop-covid vous semblait intrusive ? Les « anges gardiens » de la brigade le seront davantage et sans garantie d’efficacité.
L’exécutif navigue à vue.
Quand le Premier Ministre prétendait récemment vouloir « protéger, tester et isoler », seule la dimension de l’isolement est présente dans ce projet de loi.
Aucune stratégie relative au dépistage massif des Français n’a pour l’heure été révélée.
La protection, elle, ne concernera finalement pas nos données personnelles.

Défense d’amendement pour la réécriture de l’article 3

Monsieur le Président,

Monsieur le Ministre,

Mes cherEs collègues,

L’article 3 du présent projet de loi prévoit les modalités de placement à l’isolement des citoyens contagieux. Une telle décision serait prise par le représentant de l’État dans le département, sur proposition du Directeur général de l’Agence régionale de santé et après constatation médicale. Un garde-fou est prévu, le juge des libertés et de la détention pouvant être saisis par le patient.

Malheureusement, la rédaction présentée par le Gouvernement n’est pas satisfaisante.

Rappelons-le : la mise à l’isolement pour raison médicale est une privation de liberté, alors même que le porteur du virus n’a rien commis d’illégal. Cette décision n’est donc pas à prendre à la légère et se doit d’être encadrée.

Le présent amendement vient donc proposer une nouvelle rédaction de l’article 3, afin de faire en sorte que le placement coercitif en quarantaine se dote d’un cadre légal rigoureux, permettant de  garantir la nécessité et la proportionnalité d’un recours à une telle mesure.

Le dispositif que nous proposons appelle notamment à se faire plus respectueux du droit à l’information et à la défense de la personne placée à l’isolement.

Il y est notamment prévu la garantie de la présence d’un avocat dans le cadre de l’audience du malade avec le juge des libertés et de la détention. Il est également assuré que le requérant se verra informé par écrit et dans une langue qu’il comprend de la nature, de la durée et des motifs de la mesure à laquelle il est soumis, ainsi que des droits qui lui sont reconnus.

La rédaction proposée devrait permettre de concilier un dispositif proportionné et respectueux des droits des personnes concernées, tout en permettant aux autorités d’œuvrer contre la propagation de l’épidémie.

Je vous remercie.

Défense d’amendement :  amende pour non-port du masque dans les transports

Monsieur le Président,

Monsieur le Ministre,

Mes cherEs collègues,

L’article 5 du présent projet de loi prévoit la possibilité aux agents agissant dans les transports publics et ferroviaires de pouvoir verbaliser les usagers qui ne respecteraient pas les mesures sanitaires, édictées à l’article L. 3131-15 du code de la santé publique en ne portant pas de masque.

Nous comprenons évidemment l’objectif qui est celui du Gouvernement, visant à responsabiliser nos concitoyens par des mesures coercitives, afin d’éviter au maximum la transmission du Covid-19.

Philosophiquement, une telle mesure est bien entendu contestable : les Français ne sont pas des mineurs et ils comprennent parfaitement le besoin de respecter les règles sanitaires édictées par l’Etat. Leur sens du civisme aurait probablement suffit.

Mais l’heure n’est pas à la polémique et nous saluons le choix du Gouvernement qui semble tendre vers un port obligatoire du masque dans les transports en commun, comme le préconise l’ensemble de la communauté scientifique.

Hélas, j’ai bien peur que dans les faits et en raison de la pénurie de masques que connaît notre pays depuis le début de l’épidémie, une mise en pratique de cette mesure ne soit pas possible dès le 11 mai.

Il semble donc particulièrement injuste de pénaliser nos concitoyens en les verbalisant pour non-respect des règles sanitaires, alors même que c’est l’Etat qui est le principal responsable du manque de masques.

Le présent amendement vient donc corriger cette injustice, en conditionnant la verbalisation de nos concitoyens dans les transports, uniquement si l’application des normes sanitaires est matériellement possible. C’est bien à l’Etat de réunir les conditions essentielles à la sécurité sanitaire de chacun, notamment en donnant aux citoyens la possibilité de se fournir un masque et pour les précaires d’en obtenir gratuitement.

Je vous remercie.

Défense d’amendement article 6, repli n°1

Monsieur le Président,

Monsieur le Ministre,

Mes cherEs collègues,

Le dispositif de brigade proposé par le Gouvernement est flou et la forme qu’elle pourrait prendre n’est pour l’heure pas précisément connue.

Certaines caractéristiques se dégagent cependant.

Afin de détecter les chaînes sociales de contamination, ce projet de loi prévoit la création d’un système d’information, qui comporterait des données de santé et d’identification. La collecte de ces informations devrait ensuite servir à déterminer les personnes ayant été en contact avec les malades, afin de tuer dans l’œuf toute propagation du virus. Ces données devront pour ce faire être accessibles à des agents agréés, notamment au sein des Ministères.

A de bien nombreux égards, l’article 6 est problématique.

Il l’est tout d’abord car il permet la collecte de données privées. La CNIL a d’ores et déjà alerté sur les dangers que pourraient engendrer la création d’un listing des personnes malades. Rien ne permet de garantir que des mesures coercitives et discriminatoires ne seront pas prises à leur encontre dans le but de contenir la pandémie.

De plus, le fait que des données médicales soient transmises à du personnel au sein des ministères porte atteinte au principe général et absolu du secret médical, qui est un élément fondateur et primordial de notre droit de la santé.

Enfin, rien dans la rédaction du projet de loi ne vient garantir l’anonymisation des personnes malades susceptibles de pâtir d’une utilisation ultérieure du fichier constitué.

Mes cherEs collègues, la santé publique est l’affaire de tous. Elle est notre objectif commun. Mais pas au prix de la diffusion de certaines de nos données personnelles et pas au détriment du secret médical.

Le présent amendement souhaite donc expurger l’article 6 de sa substance la plus attentatoire à la vie privée de nos concitoyens.

Défense d’amendement article 6 : repli n°2 consentement du malade avant le prélèvement de ses données

Monsieur le Président,

Monsieur le Ministre,

Mes cherEs collègues,

J’ai eu l’occasion de le décrire dans mes précédents amendements : le dispositif proposé dans cet article 6 me semble particulièrement intrusif.

A cela s’ajoute le fait qu’aucun encadrement n’est prévu afin de limiter les effets pernicieux d’un tel système : en effet, en ne prévoyant qu’un simple rapport non-astreignant de la CNIL comme garde-fou, le Gouvernement démontre sa volonté de légiférer en solitaire, sans accepter que sa prise de décision  soit pondérée par les experts. Cette ambition est encore renforcée par le recours aux ordonnances, par lequel le Parlement devrait renoncer à toute capacité de contrôle sur ce que prévoira l’exécutif.

Pourtant, la création d’un fichier recensant nos concitoyens n’a rien d’anodin et l’Histoire nous l’a bien démontré.

Ainsi, si un tel dispositif devait voir le jour, il semble impératif que de nouvelles précautions soient prises afin d’encadrer les atteintes disproportionnées aux données personnelles de nos concitoyens.

Il est donc proposé par le présent amendement de faire en sorte que tout prélèvement de donnés ne soit réalisé qu’avec le consentement de la personne porteuse du virus.

Il semble évident qu’il faille consulter le citoyen  avant que  ses informations privées ne soient transférées aux autorités, alors même qu’elles devraient relever du secret médical.

Bien que nous soyons opposés par principe à un système de prélèvement des données dans un but de fichage, il semble qu’un droit de regard préalable du malade concerné permettrait de tempérer un dispositif qui serait uniquement régulé par les autorités.

Je vous remercie.

Défense d’amendement article 6 suppression du recours aux ordonnances

Monsieur le Président,

Monsieur le Ministre,

Mes cherEs collègues,

Nous avons pu le dire précédemment, le dispositif que vous nous proposez à l’article 6  porte atteinte de manière délibérée au respect des données personnelles, au secret médical ainsi qu’aux restrictions posées par notre droit sur la collecte de données numériques.

Certains estimeront que ces mesures sont nécessaires pour assurer la santé publique et la sécurité sanitaire de chacun de nos concitoyens.

Personnellement, j’estime que nous faisons face à un cas d’école en matière déontologique et éthique.  Les questions soulevées doivent pouvoir faire l’objet d’un débat au sein de la représentation nationale. Et ces échanges doivent pouvoir se tenir de manière libre, éclairée, apaisée et rationnelle.

Force est hélas de constater, Monsieur le Ministre, qu’une telle possibilité ne nous est pas offerte par la méthode que vous avez choisie d’employer, à savoir le recours aux ordonnances de l’article 38 de la Constitution.

Sur un sujet d’une telle importance et ce n’est pas la première fois depuis le début de ce quinquennat, vous vous permettez d’avoir recours à un outil constitutionnel, visant à brider la capacité du législateur à amender votre copie.

De fait et alors que c’est sa mission, le Sénat se trouve privé de sa capacité de contrôle de l’action gouvernementale.

Monsieur le Ministre, Mes cherEs collègues, la mise en place d’un système de collecte d’informations médicales et personnelles doit pouvoir être discutée. Mais le débat démocratique perd de sa valeur s’il est simplement symbolique et si l’exécutif est le seul à pouvoir légiférer en la matière.

Le présent amendement prévoit donc de supprimer les dispositions de cet article  permettant le recours aux ordonnances.

Je vous remercie.