Et soudain, Hollande débarqua à la « couscous party » des écolos (Le Nouvel Observateur, 6 octobre 2014)

par Maël Thierry,

Mercredi 1er octobre, François Hollande était l’invité surprise d’un dîner d’élus écolos. Avec Placé mais sans Duflot. Retour sur cette drôle de soirée…

« Bjr. Je vous invite personnellement demain soir à 20h15 à un petit repas amical et privé et discret :-). Avec les sénateurs/trices. Adresse à suivre. Bises. JVP ». « JVP », alias Jean-Vincent Placé, avait bien préparé son coup : réélu à l’unanimité président du groupe EELV au Sénat mardi dernier, il avait convié ses camarades du Palais du Luxembourg et quelques députés triés sur le volet à une petite sauterie le lendemain. En promettant une « surprise »… On la connaît aujourd’hui : la visite du président de la République, François Hollande, l’invité que personne n’attendait au « Tagine », le restaurant marocain du 11e arrondissement de Paris que Placé avait privatisé pour la soirée du 1er octobre.

« Je pensais à Manuel Valls ou à Sophie Marceau »

Chez les députés et les sénateurs écolos conviés, chacun s’était mis à spéculer. Quelle surprise allait leur réserver le sénateur de l’Essonne au riche carnet d’adresses ? « Je pensais à Manuel Valls ou à une personnalité du show-biz, raconte le député des Bouches-du-Rhône François Michel-Lambert. Ou à Sophie Marceau qui soutient des causes environnementales et que je rêve de rencontrer… »

Les paillettes, ce sera pour une autre fois. Placé avait une autre idée en tête : organiser une rencontre entre « ses » élus et le chef de l’Etat. Histoire de soigner les relations entre l’Elysée et son parti qui, contre son avis, a fermé la porte à une entrée dans le gouvernement Valls lors du dernier remaniement à la rentrée. Histoire aussi de montrer à ses amis écolos qu’il n’a rien perdu de sa légendaire influence, y compris auprès du chef de l’Etat qu’il tutoie. « Je ne voulais pas d’un truc compassé, de l’apéro à l’Elysée avec Poignant [un des conseillers d’Hollande], ça s’est zéro ! », raconte le « Mazarin » des Verts. Non, pour le président dit normal, il fallait un truc normal… organisé dans le plus grand secret.

A 21 heures, je discutais, et tout d’un coup, il était là »

A une exception près. Deux heures avant les agapes, une députée a été mise dans la confidence : Cécile Duflot. Placé lui a cependant conseillé de voir le président en tête à tête plutôt que dans ce cadre collectif. Histoire de ne pas gâcher l’ambiance… Le couscous aurait sans doute été un peu moins digeste si l’ex ministre du Logement avait été de la tablée. N’a-t-elle pas qualifié Hollande de « président de personne » dans son livre-réquisitoire « De l’intérieur » ? Aux dernières nouvelles, aucune rencontre entre l’ex ministre et le chef de l’Etat n’est programmée à l’agenda.

C’est vers 21 heures que le président de la République a discrètement débarqué dans le petit restaurant de la rue de Crussol. « Je discutais et tout d’un coup, il était là », raconte un sénateur. A tous, le président au plus bas dans les sondages a fait le même effet. « Convivial », « radieux », « rieur », « content d’être là »… François Hollande a fait un grand numéro de charme à ses turbulents alliés écolos. Il faut dire que l’assistance lui était plutôt acquise : nombre des députés et sénateurs présents ce soir-là étaient plutôt d’avis qu’il aurait fallu rester au gouvernement. C’est le cas des présidents de groupe Barbara Pompili et François de Rugy – revenu d’une émission à i-télé où il a appris par SMS qui était l’invité mystère – mais aussi de Denis Baupin. « Tous les ministrables étaient là », sourit un parlementaire.

« Je vous connais presque tous », dit Hollande

Comme il se doit, Placé, qui aime le travail bien fait, a soigné l’accueil de son prestigieux invité. « Nous avons un président de la République de gauche et on voit la différence avec celui de droite, a-t-il dit alors que Nicolas Sarkozy signe son retour. Un président de gauche, c’est rare, c’est difficile, nous sommes dans un monde hostile, plutôt de droite ». Avant de présenter un par un « ses » troupes. Parmi elles : de vieilles connaissances d’Hollande comme le sénateur André Gattolin, l’un de ses anciens élèves en cours d’économie à Sciences Po.

« Je vous connais presque tous », leur a dit le président qui avait visiblement révisé ses fiches, accompagné de son conseiller politique Vincent Feltesse. Avant de s’assoir à table – entre Placé et la sénatrice Corinne Bouchoux – et de partager des légumes à la marocaine, des pastillas, du couscous et du thé. Devant les écolos, Hollande a fait de l’écologie : loi de transition énergétique, biodiversité et conférence mondiale sur le climat à Paris l’an prochain. Pour tous ces rendez-vous, le président a dit compter sur ses amis d’EELV. « Il nous a fait passer un message : vous êtes naturellement partie prenante de la majorité gouvernementale et vous reviendrez au gouvernement, on va travailler à ça », raconte un député. Mais sans préciser quand débuterait ce « troisième temps du quinquennat ».

Droit de vote des étrangers au menu

Chacun a pu faire passer ses messages. Denis Baupin sur la loi de transition énergétique dont il est le co-rapporteur à l’Assemblée. Le renouvellement ou non d’Henri Proglio à la tête d’EDF a ainsi été évoqué. Pour les écolos, son remplacement serait un signal positif. Mais Placé a plaidé, lui, pour le maintien de ce « capitaine d’industrie ». « La question, c’est est-ce qu’il applique la politique de la France ? S’il le fait, il n’y a pas de raison de ne pas le garder. Pas de délit de faciès », a dit le sénateur, auto-chargé des relations de son parti avec les entreprises et qui a déjà partagé la table du puissant patron d’EDF.

Autre sujet qui fâche, rapidement évoqué : le droit de vote des étrangers, sujet cher à la sénatrice Esther Benbassa. « Il m’a dit : Esther, il faudrait qu’on le fasse mais nous n’avons pas de majorité au Congrès. Est-ce que c’est bien de le faire et de sortir perdant ? » « Ce serait un geste », lui a répondu l’élue du Val-de-Marne, regrettant que le président ait « un peu oublié les gens des quartiers qui ont voté pour lui ». Les parlementaires écologistes en ont aussi profité pour relayer leur mécontentement sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale et l’absence de travail concerté avec la ministre Marisol Touraine. Plainte reçue cinq sur cinq : dès le lendemain, les parlementaires EELV en charge du sujet ont été rappelés par le cabinet de la ministre. Et Placé sera reçu.

« T’es pizza ou couscous ? »

Comme à son habitude, ce dernier y est allé de ses petits conseils en communication auprès du président. « Après la séquence histoire et commémorations, il faut maintenant une séquence sur l’environnement et le patrimoine, a-t-il plaidé. Tu refais l’île de Sein mais sans la pluie ». Avant de repartir, le président a posé pour des « selfies » avec ses hôtes d’un soir mais consigne avait été donnée par l’organisateur de la soirée : interdiction de twitter !

Au même moment, Cécile Duflot dînait de son côté au Casa Germain, un restaurant italien proche de l’Assemblée, avec des députés comme Jean-Louis Roumégas, Danielle Auroi ou Christophe Cavard. Eux n’avaient pas été invités à la « couscous party » et assistaient comme elle au débat introductif sur la loi de transition énergétique. Placé à sa table, Duflot à une autre… « On ne va pas pouvoir tenir sur deux directions qui s’opposent : ceux qui se radicalisent dans la contestation et ceux qui veulent retrouver la voie d’un travail commun, estime François-Michel Lambert. Maintenant chez les écolos, il y a les ‘Tagine’ et les ‘Casa Germain' ». Bref, voilà la nouvelle ligne de fracture au sein d’EELV résumée par un député : « T’es pizza ou t’es couscous ? »

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