Rififi, pas très glorieux, au Sénat, la semaine dernière. Nombreux sont les sénateurs à prétendre que, parce qu’ils sont par excellence les représentants des collectivités territoriales, le cumul de leur mandat parlementaire avec une fonction exécutive locale, notamment celle de maire, doit impérativement leur rester ouvert. Ils ont tout de même été quelque 26 socialistes à voter, au milieu de la nuit de mercredi, pour un amendement au projet de loi gouvernemental sur le non-cumul, amendement visant à garantir une sorte d’exception sénatoriale. 36 n’ont pas pris part au vote, 8 se sont abstenus.
Un RDSE à la pointe… du combat d’arrière-garde
Ces défections, ajoutées à des alliances douteuses entre la droite, le centre et le RDSE, ont donc clarifié le débat. En un mot, ils n’ont pas été majoritaires, loin s’en faut, les sénateurs, à accepter de se plier à l’engagement de campagne n° 48 de François Hollande sur le non-cumul. Tous les arguments possibles ont été invoqués, pas toujours de bonne foi, et pas toujours de bon goût.
L’excitation a été à son comble lorsque le président du groupe RDSE (Rassemblement démocratique et social européen, majoritairement composé d’élus PRG) s’est lancé dans des accusations ad hominem, « perles » d’une diatribe visant à expliquer, en gros, que ceux qui ne cumulaient pas étaient des incapables, les autres, les cumulards, atteignant à une connaissance du terrain incomparable, seule à même de leur permettre d’assurer convenablement leur fonction…
L’argument vaut ce qu’il vaut. A savoir pas grand-chose. Dans d’autres pays européens, notamment en Allemagne, le non-cumul est la règle, sans que cela nuise à la qualité du travail parlementaire. Certes, avec la suppression du cumul, le RDSE risquerait fort de voir le nombre de ses sénateurs décroître. Sans un mandat exécutif local, pas (ou moins) de clientélisme…
Cela dit, l’agitation du RDSE avait sans doute plus d’un motif. Et l’on sait qu’il ne manque aucune occasion de mettre en péril les projets de loi venant du gouvernement. Une sorte de sport, pour montrer des muscles, qu’on a d’ailleurs peut-être pas aussi puissants qu’on voudrait le faire croire…
Pouvoir, quand tu nous tiens…
Par ailleurs, je le confesse, la configuration de mercredi dernier était originale, puisque, on l’a vu, l’opposition au non-cumul réunissait de fait des représentants de toutes les sensibilités politiques (hors écologistes et communistes), y compris socialistes. Et pourtant, la loi ne sera appliquée qu’en 2017. Ca n’est donc pas vraiment pour demain. Chacun aura le temps de se préparer… Mais l’amour du pouvoir transcende naturellement toutes les frontières partisanes. Des nuances intéressantes, pourtant : chez les socialistes, seulement deux femmes ont voté en faveur du cumul. Les femmes, serions-nous moins nombreuses à courir derrière le pouvoir? A vérifier…
Nous, sénateurs et sénatrices, avons envoyé au peuple de France une piètre image de nous-mêmes. Au moins à l’Assemblée, le projet de loi a été voté sans bavures, sans renoncements, comme si le Sénat seul avait le secret de pareils retournements, de pareils contournements. Le goût du pouvoir, j’y insiste, est seul en cause. Les sénateurs et sénatrices ont en effet voté un amendement excluant le cumul des rémunérations en cas de cumul des fonctions. Que compte l’argent face au pouvoir, me direz-vous?
Et pourtant, un récent sondage semble le confirmer, une majorité de Français ne veut pas d’un maire parlementaire. Les Français veulent un maire, leur maire, pour eux et pour eux seulement. Voilà une bonne nouvelle ! Député-maire, sénateur-maire, ce n’est plus en vogue… Au Sénat, on n’en est pas encore là, mais plutôt à essayer de comprendre les vertus… du cumul des mandats.
Être représenté, pour exister
Le non-cumul, lui, en a pourtant beaucoup, des vertus. Il est ainsi peut-être l’un des moyens de rendre notre représentation politique… réellement représentative. Ce qu’à ce jour, manifestement, elle n’est pas.
Abdelmalek Sayad, le grand sociologue trop tôt disparu, a écrit : « Exister, c’est exister politiquement ». La question est donc posée : nos instances politiques, en n’étant pas représentatives de l’ensemble de la population française, n’en condamnent-elles pas certains secteurs à une forme d’inexistence ? Femmes, jeunes, ouvriers, chefs d’entreprise, cadres, personnes issues de l’immigration, ultramarins s’y retrouvent-ils à proportion de leur présence réelle dans la société? Certes non.
Rien d’étonnant à cela. « Dès qu’il y a des ‘représentants’ permanents, ainsi que le rappelait le philosophe et économiste Cornélius Castoriadis, dans son livre Domaines de l’homme, l’autorité, l’activité et l’initiative politiques sont enlevées du corps des citoyens pour être remises au corps restreint des ‘représentants’- qui en usent de manière à consolider leur position et à créer des conditions susceptibles d’infléchir, de bien des façons, l’issue des prochaines ‘élections' ».
Le cumul des mandats, ça sert à cela aussi. Et donc à limiter la fluidité de la circulation du personnel politique, son rajeunissement, sa féminisation, sa diversification.
En cas d’adoption, en dernière instance, du projet de loi à l’Assemblée, sans le honteux amendement sénatorial, le renouvellement sociologique espéré des élus aura-t-il pourtant lieu ? Peut-être. Mais ce n’est même pas sûr, quand on voit à quel niveau de blocage peut atteindre la mentalité des politiques.
La loi sur la parité hommes-femmes fournit un précédent très modérément encourageant. Elle a eu quelques bons effets. Mais le vivier de recrutement des femmes élues est resté le même, avec la surreprésentation de certains profils sociologiques (en gros les mêmes que ceux des hommes). Exemple : si des assistants parlementaires devenaient hier députés, eh bien !, aujourd’hui, des assistantes parlementaires le deviennent à leur tour… Les signes sont hélas nombreux de la pérennité et de la stabilité de la composition du réservoir où se recrutent les futurEs éluEs, hommes ou femmes. Je peine donc à imaginer ce qu’il en sera demain, dans ces conditions, et pour m’en tenir à ce seul aspect des choses, d’une représentation de la « diversité »…
A quand la diversité au Parlement ?
« Diversité ». Doux terme consensuel, héritage des années 2000. Est-il bien compatible avec notre « universalisme républicain », selon lequel l’égalité se réalise en faisant abstraction, justement, des « différences ‘de naissance' » entre les individus ? Toute revendication portée au nom d’un groupe n’est-elle pas, chez nous, a priori illégitime ? Le « clientélisme électoral », lui, en revanche, demeure. Ciblant qui les Juifs, qui les musulmans, qui les Arméniens, voire tous ensemble, et alors même qu’il est difficile de mesurer l’impact réel du vote ethnique sur le résultat d’une élection.
« Diversité ». Contorsion rhétorique, éloignant de nous le spectre du « communautarisme », nous évitant surtout d’appeler un chat un chat, et rendant d’un coup invisibles ces « minorités » qu’on appelle pourtant « visibles ». Les chiffres parlent. On a bien noté une légère percée au Parlement. Les « issus de la diversité » n’y représentaient qu’1% jusqu’aux dernières élections. Pas de véritable bond, pourtant. A l’Assemblée, l’avancée est modeste : une petite dizaine en tout (hors outremers). Au Sénat, la situation n’est guère plus glorieuse. Nous nous comptons sur les doigts d’une seule main…
Redescendons sur terre. Seulement 2,2 % des 9737 candidats se présentant en métropole aux précédentes élections cantonales étaient issus des « minorités visibles ». Quand les personnes d’origine maghrébine, turque, asiatique ou africaine représentent 8 à 10% de la population française. Les déséquilibres sont patents. Plus à l’UMP qu’au PS. Mais quelle frilosité partout ! Les arguments avancés pour la justifier ? La peur de faire le jeu du FN ou la crainte qu’une fois élus ces gens-là défendent d’abord les intérêts de leur communauté d’origine.
Des Français plus progressistes que leurs élus
Cela est-il bien vrai ? Dès 2008, 57% des Français estimaient qu’il n’y avait pas assez de personnes appartenant à une minorité visible parmi les parlementaires. 85% d’entre eux se disaient prêts à voter pour un candidat issu dune telle « minorité ». Est-ce que le contexte a changé depuis ?
Ce sont plutôt les partis politiques qui ne changent pas. Oubliées les interventions, dès 2005, au Congrès du PS au Mans, soulignant que « les élus de la République sont loin de correspondre à la diversité de la société française »? Effacées les 35 propositions pour une Diversité en Mouvement, de l’UMP, en 2007, et la volonté affichée de promouvoir des candidats de la diversité ? Encore et toujours le profil-type du sénateur sera-t-il un homme blanc de 50 ans et plus, issu d’un milieu plutôt aisé, et plus ou moins diplômé? Est-ce donc une fatalité?
Dès 2009, le sociologue Eric Keslassy, dans son enquête conduite pour l’Institut Montaigne – de droite ! -, suggérait entre autres, pour remédier à cette situation, la suppression du cumul des mandats. Ce à défaut d’une transposition à la représentation de la diversité dans le paysage politique des dispositions déjà prises pour la parité.
Demain, enfin, un Parlement qui nous parle ?
Les écologistes, lors de ces débats, ont eu le mérite de la clarté : opposition unanime au cumul. Il est vrai que cette revendication est de longue date inscrite dans leur programme. Le non-cumul peut donner un petit coup de pouce au renouvellement de notre représentation politique. Nous ne pouvons pas manquer cette opportunité. Encore faudra-t-il, en tout état de cause, un peu plus de transparence et de volontarisme au sein des partis dans les désignations et les jeux de réseaux. Globalement : un changement des mentalités des politiques. Mais aussi l’élaboration d’un véritable statut de l’élu (lui permettant de ne pas redouter la précarité et le chômage lorsqu’il ne l’est plus), l’introduction de la proportionnelle aux élections législatives, une réforme profonde des institutions.
Le Parlement sera-t-il un jour à l’image de la société? En attendant, le projet de loi sur le non-cumul a été voté au Sénat sous une forme dénaturée qui n’a pas grand-chose à voir avec le texte initial. Nous, les sénateurs, avons sûrement manqué un pas important sur la voie de la modernisation de nos institutions. Le conservatisme, la frilosité et l’attrait du pouvoir ont bloqué l’initiative. Il faut dire que le Ministre de l’Intérieur a manqué de souplesse et de diplomatie, qui a pris les sénateurs à rebrousse-poil.
Je ne crois pas que le peuple puisse aimer vraiment un Parlement qui ne lui ressemble pas. Ou, pour utiliser une expression qu’on entend souvent sur le terrain, qui ne lui parle pas.
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