Esther Benbassa : « Je ne pense pas que le texte sur le droit de vote des étrangers sera discuté dans l’hémicycle »

La sénatrice Esther Benbassa soutient la proposition de loi de Sacha Houlié mais doute de son avenir. Elle avait été rapporteure au Sénat d’un texte sur le sujet, voté en 2011, mais jamais inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale.

La sénatrice Esther Benbassa, au Sénat, le 27 juillet. (Amaury Cornu /Hans Lucas / AFP)

En 2011, la sénatrice Esther Benbassa était rapporteure d’une proposition de loi constitutionnelle d’origine écolo destinée à ouvrir le droit de vote aux étrangers extracommunautaires aux élections municipales. Le texte, adopté en 2000 par les députés sous la gauche plurielle, avait alors été voté sans conformité par un Sénat de gauche. Il est donc reparti à l’Assemblée : sous François Hollande, il n’a jamais été mis à l’ordre du jour malgré une majorité socialiste entre 2012 et 2017. Aujourd’hui, l’élue du Val-de-Marne, franco-turco-israélienne, doute que la proposition de Sacha Houlié soit débattue à l’Assemblée.

Etes-vous surprise de voir que le droit de vote des étrangers aux municipales soit remis au programme par un député du camp présidentiel ?

Oui. Même si le fait que Sacha Houlié ait déposé ce texte en son nom propre montre que son groupe n’est pas en accord sur cette question et qu’il y a des débats au sein de la majorité. On peut accueillir cette proposition non seulement avec surprise, mais en se disant qu’il y a, là-bas, des gens qui veulent faire bouger les choses. Mais je ne pense pas que ce texte sera discuté dans l’hémicycle. A moins que ses collègues changent d’avis. Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, n’est pas content : lorsqu’il entend le mot étranger, il pense immédiatement «terrorisme» et «abus de minima sociaux».

Y voyez-vous une avancée pour cette promesse faîte par François Mitterrand il y a plus de quarante ans ?

Non seulement je suis satisfaite mais je me battrai avec eux sur ce texte. Il y a une discrimination : pourquoi les étrangers européens peuvent voter aux élections locales et pas les autres résidents étrangers ? Comme tous les Français, ils payent leurs impôts, élèvent nos enfants, construisent nos routes et nos hôpitaux, font le ménage… Ces gens ont consacré une partie de leur vie à la France. La République doit aussi descendre vers eux pour montrer qu’ils font partie de la nation.

Souhaitez-vous que la majorité reprenne plutôt la proposition de loi votée au Sénat en 2011 ?

Chacun veut mettre sa patte. Cela ne change pas grand-chose qu’ils reprennent ce texte ou en écrivent un nouveau.

Mais aujourd’hui le Sénat est bien ancré à droite contrairement à 2011…

Le contexte de l’époque était effectivement plus favorable puisque la gauche était majoritaire. Aujourd’hui, la majorité Les Républicains est d’une droite assez dure : contre l’immigration, pour la fermeture des frontières… Les sénateurs centristes pourraient peut-être voter pour mais nous ne serions pas assez nombreux.

Cette proposition peut-elle être l’occasion pour la gauche de se replacer dans les débats ?

Oui, bien sûr ! C’est une mesure sur laquelle il faut mettre l’accent. Nous n’avons jamais compris pourquoi François Hollande et sa majorité avaient mis sous le tapis cette proposition de gauche, qui nous tenait tant à cœur. Cela a été une des lâchetés de son quinquennat, comme la déchéance de nationalité. Elle aurait fait honneur à notre camp, en aidant les étrangers à davantage s’intégrer. Alors même si ce n’est pas voté aujourd’hui, il faut répéter cette proposition. Cela donnera confiance à ces personnes, pour qu’elles pensent qu’elles ont aussi leur rôle à jouer. La démocratie, ça s’apprend, et la République doit aller dans ce sens.

Source : https://www.liberation.fr/politique/esther-benbassa-je-ne-pense-pas-que-le-texte-sur-le-droite-de-vote-des-etrangers-sera-discute-dans-lhemicycle-20220811_QDLNITE6QFAO3KML3H4JLEFH3E/?redirected=1