Au début de l’année, plusieurs dizaines de personnes enfermées dans les centres de rétention (CRA) du Mesnil-Amelot et de Vincennes, en région parisienne, de Oissel, en Normandie, et de Sète, dans l’Hérault, ont entamé une grève de la faim. Ils dénonçaient notamment les conditions de vie dans ces locaux où ils attendent d’être expulsés, ou libérés. La sénatrice EE-LV de Paris Esther Benbassa (photo AFP) s’est rendue, lundi, au centre du Mesnil-Amelot. En tant que parlementaire, elle dispose d’un droit d’accès à ce type de lieu. Elle raconte sa visite à Libération.

 

Comment s’est déroulé votre déplacement ?

On a été très mal accueillis, j’ai été très étonnée. On nous a fait pas mal attendre. Nous n’avions pas averti de notre visite, j’ai donc appelé le cabinet du préfet une fois sur place… Je crois qu’ils en ont profité pour passer un coup de balai ! En revanche, le personnel de la Cimade, qui intervient pour conseiller les retenus dans le centre, a été coopératif. On a su que la grève de la faim qui avait commencé au début du mois de janvier avait été assez suivie, mais elle est apparemment terminée.

Je me suis rendue dans deux bâtiments du Mesnil-Amelot, d’abord au CRA numéro 2, ouvert depuis août 2011 et où un quart des retenus sont des femmes, et qui peut accueillir des familles, ainsi qu’au CRA numéro 3, ouvert lui depuis septembre 2011. Ils ont chacun 120 chambres, avec deux lits. En 2017, le nombre d’enfants qui y ont été accueillis, dont certains avaient à peine deux mois, a été multiplié par sept par rapport à 2013 [c’est aussi ce qu’avait constaté la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, ainsi que la Cimade, qui avait dressé l’année précédente un constat similaire, ndlr].

D’ailleurs, la France a déjà été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme pour ses rétentions abusives… J’ai aussi constaté un vrai manque d’empathie, un automatisme, une rudesse dans la manière de s’adresser aux retenus.

Dans quel état étaient les locaux ?

Il faisait froid dans les chambres. L’une de mes constations était que l’état de saleté était particulièrement avancé. A un moment, j’ai entendu quelqu’un crier : «Ça suffit, les toilettes ne marchent pas !» Il y avait effectivement une odeur d’urine. Les gens se plaignaient que la lumière ne fonctionnait pas, qu’il n’y avait pas toujours d’eau dans les toilettes… Ils m’ont aussi parlé de puces de lit et même de gale.

Quels autres faits vous ont rapporté les personnes retenues ?

Elles disent qu’être ici, dans le CRA du Mesnil-Amelot, est un cauchemar. C’est leur propre mot. Elles préféreraient être expulsées pour que ça se termine. Il y a une vraie colère, les gens voulaient me parler, me dire que ce n’était pas possible de vivre ainsi. Ça m’a vraiment frappée. Elles n’ont absolument aucune occupation, ils tournent en rond toute la journée. On m’a aussi rapporté des expulsions dans des conditions assez violentes.

Elles disent manger très mal, que les portions ne sont pas suffisantes. Le distributeur est cassé, les régimes spécifiques ne sont pas respectés… Ne serait-ce que mettre du poisson à la place de la viande pour ceux qui mangent hallal n’est pas fait. J’ai vu des photos de personnes avant leur entrée au CRA et à leur sortie, elles étaient amaigries. La plupart portaient aussi des claquettes, par ce froid !

Vous vous êtes également rendue à l’infirmerie ?

J’ai tout fait pour aller à la partie médicale car on m’avait rapporté des problèmes. J’y ai été accueillie par des gens très désagréables qui ne nous ont pas laissé discuter, c’était assez étonnant. Beaucoup de personnes retenues m’ont expliqué que les soins étaient très mal gérés. Il y a un notamment un vrai problème de continuité des soins pour les personnes atteintes du sida, ou d’hépatites.

On m’a aussi rapporté des mutilations, comme le cas de cet homme qui avait avalé quatre lames de rasoir. J’ai vu sa radio. J’ai visité beaucoup de CRA, je n’avais pas vu autant de mutilations auparavant. C’est quelque chose qui commence à devenir plus constant, les gens craquent. On m’a aussi parlé de cas psychiatriques qui, au lieu d’être envoyés à l’hôpital, sont laissés là. Quand ils sont en crise, on les enferme dans la chambre d’isolement, que j’ai aussi visitée et qui est dans un mauvais état. On m’a aussi rapporté des tentatives de suicide.

Le personnel médical est en sous-effectif : les médecins ne sont là que trois à quatre heures par jour, et il n’y a qu’un seul psychiatre une demi-journée par semaine ! Ce centre de rétention, c’est 10 000 passages à l’infirmerie par an, donc vous imaginez bien que ça pose problème.

En dehors des conditions de vie, qu’est-ce qui vous a le plus frappé ?

On dit qu’il n’y a plus Afghans en CRA, mais moi j’en ai rencontré deux, qui étaient là depuis vingt-huit jours. Les femmes étaient très déprimées. Une autre chose frappante était la présence de Roms, qui sont pourtant européens. Que faisaient-ils là ? La France est le pays qui prononce le plus d’obligations de quitter le territoire (OQTF) et qui enferme le plus. Mais seulement 40 à 45% des retenus finissent par être expulsés. Pourquoi laisser les autres vivre dans ces conditions ? Quelle image va-t-on donner ? Ces gens sont venus dans notre pays pour des raisons pas toujours réjouissantes, on pourrait au moins, le temps qu’ils restent dans ces centres, leur procurer des conditions de vie décentes. Ça m’a intéressé de voir comment le système d’enfermement peut broyer les gens. Quel est le but de cet enfermement ? Je n’en comprends pas le bénéfice. Ça ne va pas faire baisser le nombre d’immigrés. C’est comme si ces gens gênaient, qu’on les nourrissait un peu, histoire qu’ils ne meurent pas, mais c’est tout : les droits de l’homme, notamment à être soignés, ne sont pas respectés.

Pour (re)lire l’article sur « Libération », cliquez ici!