SOLNIA « Je n’arrive pas à imaginer un afghanistan en paix »
À 27 ans, Solnia est bénévole dans une association d’aide aux migrants. Femme de presse, elle a quitté l’Afghanistan en 2017.
Elle se propose spontanément pour traduire les propos de ses compagnes… Solnia s’en charge comme d’un devoir, et, pour que chacune d’elles soit à l’aise, elle prend d’abord soin d’expliquer ce que l’on veut savoir : quel était leur métier au pays, quelle vie elles menaient, pourquoi elles ont décidé de partir, comment elles y sont parvenues, si elles souffrent de l’exil, si elles pensent au retour et quel espoir elles nourrissent pour l’Afghanistan.
Solnia prononce de longues phrases dans sa langue maternelle, et toutes écoutent attentivement. Quelques sourires, des hochements de tête, puis la voilà dans le rôle de traductrice désignée. « Donnez-moi votre calepin, je vais inscrire les prénoms, ils ne sont pas faciles à retenir. Je vais être votre collaboratrice, je suis aussi journaliste », lance-t-elle d’emblée en prenant un air sérieux. C’est le moment du récit, elle parle désormais sur le ton de la confidence.
Solnia a 27 ans, elle est bénévole dans une association d’aide aux migrants en attendant de pouvoir poursuivre des études universitaires en France. À Kaboul, elle travaillait pour une chaîne TV et deux radios locales. « J’adorais mon métier, la multiplicité des sujets me passionnait, des thèmes de société pour l’essentiel, un domaine inépuisable, il y avait tant de choses à dire… »
Femme de presse, Solnia était aussi traductrice auprès de l’armée américaine. Moment de silence. Cela constitue un point sensible du récit. « J’ai été vite ciblée et menacée pour cette tâche, malgré ma discrétion et toutes les précautions pour ne rien laisser paraître… ». Alors, il fallait partir et vite. « Je n’ai pas attendu l’arrivée des talibans, chose dont nul ne doutait. »
Solnia a quitté son pays en 2017, entre les mains de passeurs. « Il n’était pas possible de faire autrement. » La route fut longue, très longue. « Parfois à pied, parfois en voiture… Iran, Turquie, Bulgarie, Croatie, Slovénie, Italie », puis la France, destination de son choix.
Les autorités turques ont entre-temps accéléré la construction d’un mur de béton haut de 3 mètres sur 295 km pour barrer la route aux Afghans en provenance d’Iran. « On opère avec un millier de véhicules de surveillance, dotés de matériel de vision nocturne avec imagerie thermique. Grâce aux tours électro-optiques et des capteurs acoustiques, il est très facile de détecter toute mobilité sur la frontière », a déclaré Hulusi Akar, ministre turc de la Défense, rendu sur le chantier. Solnia est donc passée de justesse.
Que dire des talibans qu’elle n’a pas vus déferler, contrairement à sa famille restée à Kaboul ? « J’imagine constamment le pire. Ce ne sont pas des musulmans, mais tout simplement des criminels. Ils n’ont qu’une seule idée en tête : se garantir la soumission de la femme et ôter la vie à quiconque ne partage pas leur folie. » Solnia ira tout à l’heure accomplir l’avant-dernière prière du jour, celle de l’après-midi. « Je n’ai connu que la guerre, je n’arrive pas à imaginer un Afghanistan en paix, mais je prie sans cesse pour conserver cet espoir. »
SHABNAM « Les talibans vont finir par s’entre-tuer »
En France depuis quelques semaines, Shabnam, journaliste et footballeuse de 21 ans, n’envisage « aucun retour possible pour l’instant et prie pour la sécurité des siens restés à Kaboul ».
«Les nouvelles qui nous parviennent sont effrayantes. Mes amies, qui exerçaient le même métier, celles qui se passionnaient pour un sport quelconque, n’osent plus sortir, y compris accompagnées de leurs parents masculins, même dissimulées sous un niqab. Elles ont l’impression d’être reconnaissables au premier coup d’œil. Elles craignent des représailles… » Shabnam reconnaît qu’elle fut très chanceuse. Avec l’appui d’amis auprès de l’ambassade de France, elle a pu franchir la frontière en direction du Pakistan, munie d’un laissez-passer sur la base de documents attestant de son travail et de sa pratique sportive.
« Rejoindre la France n’était plus une difficulté, j’ai eu beaucoup de facilités, par rapport à d’autres personnes contraintes de partir. » D’autres Afghans, des femmes et des hommes, des jeunes pour l’essentiel, ont été exfiltrés de la même façon, raconte Shabnam. N’était cette possibilité, « j’aurais fait comme les autres, l’aéroport, les passeurs… j’étais fin prête », précise-t-elle.
Le retour ? « Pas question d’y penser pour l’instant. Je prie seulement pour la sécurité des miens restés à Kaboul. » L’espoir de jours meilleurs pour le pays ? « Les talibans sont certes forts et dominants, ils n’ont personne en face. Mais ils ne vont pas tenir, peut-être même vont-ils finir par s’entre-tuer, ils n’ont pas l’expérience du pouvoir… » Clairvoyante, Shabnam ? « Non, comme toutes ici, l’espoir est tellement fort que, parfois, on voit ce qui nous arrange… »
SIMIN « Partir était devenu une obsession »
À 21 ans, Simin a quitté Kaboul juste après la prise du pouvoir par les talibans.
«Un cauchemar… des bousculades, des coups et tous les risques que vous imaginez pour une femme, mais je n’arrivais pas à y renoncer… » Simin, 21 ans, s’est mêlée tous les jours à la foule qui affluait à l’aéroport de Kaboul après l’arrivée des talibans. Partir, partir à tout prix « était devenu une obsession. Je n’avais pas d’autres choix, à moins de me soumettre à leur dictature », explique celle qui consacrait tout son temps disponible à la sensibilisation des femmes au foyer.
« Avant que (les talibans) n’arrivent, il était encore question de droits à défendre, celles que je rencontrais étaient déterminées, elles voulaient se battre. Elles y croyaient vraiment. Elles imaginaient même éviter à leurs filles les mariages forcés, et les pousser à s’instruire », raconte-t-elle. Puis tout s’est écroulé. Leur petit monde s’est brusquement obscurci. Plus question de parler de droits, ni de partager une espérance quelconque. Simin a dû baisser les bras. Elle a même enterré son projet d’entreprendre des études en sciences politiques, après deux premières années en… agriculture.
Elle esquisse un sourire. « J’ai un tempérament de battante. Je ne voulais rien lâcher. Mais vivre l’horreur des talibans au coin de ma rue, ce n’était pas envisageable. Oui, je voulais absolument partir. » Alors, avec son ami Mustapha, qui « parle très bien français », ils ont monté, pièce par pièce, un dossier soumis à l’ambassade de France, qui tenait encore porte ouverte dans l’enceinte de l’aéroport. Le miracle s’est produit. « On a bien voulu prendre en compte mon profil de très jeune étudiante et mon travail de bénévole auprès des femmes. » Simin a pu embarquer dans un avion, Mustapha aussi. Son exil est d’ores et déjà une peine à vivre. « Je pense constamment à ma famille, à ma sœur qui est médecin et ne peut plus exercer… »Propos recueillis lors d’une rencontre au centre culturel franco-iranien Pouya, à Paris, à l’initiative de la sénatrice EELV Esther Benbassa.