13 octobre 2020 | Sénat
Le mardi 13 octobre 2020, Esther Benbassa intervenait en séance comme oratrice des sénateurs du Groupe Ecologiste – Solidarité et Territoires sur le projet de loi prorogeant le régime transitoire institué à la sortie de l’état d’urgence sanitaire.
Ci-dessous le discours prononcé par Esther Benbassa à cette occasion :
« Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Monsieur le Rapporteur,
Mes cherEs collègues,
32 521.
Il s’agit là d’un sinistre nombre : celui des morts du Covid-19 en France.
Soyez-en assuré, Monsieur le Ministre, ce n’est pas l’esprit de polémique qui animera mes propos.
Force est cependant de constater que davantage aurait pu être fait par l’exécutif. Pas au cœur de la crise, où le Gouvernement s’est finalement résolu à « aligner les milliards », mais bien en amont.
Mes cherEs collègues, vous le savez : le sous-investissement dans le système hospitalier français n’est pas nouveau. Coups de rabot dans les budgets, privatisations totales ou partielles de certains établissements… Les gouvernements successifs de ces dernières décennies se gardent bien de reconnaître leurs erreurs en matière sanitaire et sociale. Le constat est pourtant implacable : les politiques menées dans ces domaines n’ont pas seulement été des manquements stratégiques, elles ont aussi été des fautes morales.
Rendez-vous compte : l’année passée, 3400 lits d’hôpitaux ont été fermés. Ne pensez-vous pas que ces places auraient pu être utiles en avril, alors que nos médecins étaient surchargés face aux vagues de contaminations ?
Cela fait des années que dans ma circonscription parisienne, les services de réanimation se trouvent saturés et que des patients se voient réorientés vers Chartres ou Orléans. Et pour quelles conséquences ? Des patients moins bien soignés qu’auparavant, ainsi que des médecins qui, découragés par ces conditions de travail iniques, abandonnent l’hôpital pour la recherche ou le privé. C’est tout notre système de santé qui est en déliquescence et le modeste Ségur n’est pas de nature à nous rassurer.
En mars, la réponse du Gouvernement à l’épidémie a d’abord été l’Etat d’urgence sanitaire et le confinement. Bien que contraignant, ce dispositif a sans aucun doute été salutaire et aura permis – un temps – de ralentir la circulation du virus.
En juillet, l’exécutif a cependant pris la décision de sortir progressivement de l’Etat d’urgence mais n’a pas jugé souhaitable de retourner immédiatement au droit commun. Il a été décidé par la loi du 9 juillet 2020 qu’un régime transitoire serait de mise, comprenant l’intégralité des mesures appliquées depuis mars, hormis le confinement. Ce sont ces mesures provisoires que la majorité présidentielle souhaite aujourd’hui proroger de quelques mois.
Fermetures administratives d’établissements recevant du public, régulation de la circulation des citoyens, encadrement de l’accès aux transports publics pour les usagers, limitation du droit à se rassembler et manifester, création de fichiers informatiques comprenant nombre de données personnelles des malades du Covid-19 et de leurs cas contacts, afin de retracer les chaînes de contaminations… Faisant fi des libertés publiques et individuelles, les droits exorbitants confiés au Premier Ministre, aux Préfets, ainsi qu’aux administrations n’ont que trop duré.
Mes cherEs collègues, entre l’Etat d’urgence sanitaire et le droit commun, il faut choisir. Des mesures transitoires ne sauraient être pérennisées comme tente aujourd’hui de le faire le Gouvernement.
Nous saluons évidemment le travail de la Commission et du Rapporteur, Monsieur Bas, qui ont permis de réduire le délai de prorogation de sortie de l’Etat d’urgence de deux mois. Mais c’est le principe même de cette prolongation que nous rejetons.
Si l’exécutif estime que la situation sanitaire est trop grave pour que le droit commun soit efficace, qu’il prenne la responsabilité d’enclencher l’article L. 3131-13 du Code de la santé publique, permettant la mise en application, par décret ministériel, de l’Etat d’urgence sanitaire.
L’arbitraire et l’exception ne pouvant devenir la règle, le « Groupe Ecologiste, Solidarité et Territoires» votera contre ce projet de loi.
Je vous remercie. »