Le Sénat a adopté le projet de loi relatif à la retenue pour vérification du droit au séjour et modifiant le délit d’aide au séjour irrégulier pour en exclure les actions humanitaires et désintéressées. Le groupe écologiste du Sénat s’est abstenu lors de ce vote. Vous trouverez ci-dessous le texte de mon intervention lors de la discussion générale.
« Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes ChèrEs collègues,
L’espoir était grand au printemps dernier pour les migrants, leurs défenseurs et tous les militants des droits de l’homme. La victoire de la gauche devait enfin marquer le terme d’une politique du pire, mise en place depuis plus de 10 ans.
Durant une décennie, chaque ministre de l’Intérieur avait fait voter sa loi sur l’immigration, durcissant à chaque fois les conditions de régularisation des étrangers, facilitant leur expulsion et portant atteinte toujours davantage à leurs droits fondamentaux.
L’arrivée de la gauche a permis à tous de respirer un peu mieux.
Dès le mois de juin, vos déclarations, Monsieur le Ministre, nous rassuraient un peu plus, avec la fin annoncée du placement d’enfants en centre de rétention, de la politique du chiffre, inefficace et inhumaine, et du délit de solidarité.
L’esprit était différent. Restait à changer la loi.
Nous examinons aujourd’hui les conclusions de la commission mixte paritaire du premier projet de loi en la matière depuis le changement de majorité par un gouvernement que nous avons tous espéré plus soucieux des droits et libertés fondamentales des étrangers en situation irrégulière.
Ce texte contient des avancées importantes, c’est certain, mais il n’est pas sans poser de questions.
Ainsi le délit de séjour irrégulier est-il abrogé. Plus de prison pour les personnes dont la seule faute est d’être sur le territoire « sans papiers ».
C’est une bonne chose, mais il convient de souligner qu’il s’agit là de la mise en conformité de la législation française avec le droit européen.
En décembre 2011, la Cour de Justice de l’Union Européenne déclarait en effet qu’enfermer un étranger était par principe incompatible avec son éloignement, la sanction pénale ne pouvant intervenir qu’à titre subsidiaire, lorsqu’il avait été fait usage, sans succès, des procédures d’éloignement.
Reste que si être « sans papiers » n’est plus un délit, le texte de la commission mixte paritaire en instaure un nouveau, conforme au droit européen cette fois, et maintient les dispositions existantes.
En effet, l’article 6 prévoit de pénaliser le fait pour un étranger de se trouver sur le territoire alors que les autorités administratives ont tout mis en œuvre pour l’exécution de la mesure d’éloignement dont il fait l’objet. Ce nouveau délit est passible d’un an d’emprisonnement et d’une amende de 3 750 Euros.
De surcroît, le délit d’entrée irrégulière (passible d’un an d’emprisonnement, de 3 750 euros d’amende et d’une interdiction du territoire de trois ans maximum), ainsi que le délit de soustraction à une mesure d’éloignement (puni d’une peine de trois ans d’emprisonnement et de dix ans d’interdiction du territoire) sont maintenus en l’état.
Les peines sont lourdes, l’emprisonnement des migrants toujours possible sur d’autres chefs et la double peine qui, comme chacun le sait, n’a jamais été abolie, est toujours d’actualité.
Retenons que l’abrogation du délit de séjour irrégulier, aussi imparfaite qu’elle soit, revêt une valeur symbolique importante puisque les « sans papiers » ne sont plus assimilés à des délinquants. Mais espérons une réforme plus profonde ainsi que l’abolition de la double peine.
Mais revenons au texte, Monsieur le Ministre, et particulièrement à l’article 2 qui pose problème aux écologistes. Celui-ci met en place une procédure permettant de retenir un étranger jusqu’à seize heures pour vérifier sa situation au regard du séjour et, le cas échéant, de prendre une mesure d’éloignement à son encontre.
Soyons honnêtes et cohérents, la gauche s’est opposée dans un passé encore très récent aux réformes liberticides de vos prédécesseurs en matière de droits des étrangers. Nous ne pouvons donc souscrire à la création d’un régime d’exception de privation de liberté, ni accepter aujourd’hui sous un gouvernement de gauche une procédure dérogatoire au droit commun qui favorise l’enfermement et l’éloignement des étrangers. Le dispositif de vérification d’identité, applicable à tous, devrait suffire.
Nous ne pouvons donc souscrire à une telle procédure et attendons, avec impatience, une réforme du CESEDA à la hauteur de nos convictions.
Dans ce texte, il est également question d’une disposition dénoncée depuis longtemps par le monde associatif, le délit de solidarité.
Le fait d’aider ou de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irrégulier est passible de poursuites pénales, et sanctionnable d’un emprisonnement de cinq ans et d’une amende de 30 000 Euros.
Loin de lutter contre les réseaux de passeurs sans scrupules, on le sait, cette infraction n’a été utilisée que pour faire pression sur les militants et les simples citoyens qui, ne pouvant détourner les yeux de situations dramatiques et indignes, décidaient d’aider d’autres personnes, sans considération pour leur situation administrative.
Vous auriez peut-être pu, Monsieur le Ministre, abroger tout simplement ce délit.
Vous auriez pu suivre les recommandations de la Commission nationale consultative des droits de l’homme et inverser la logique du dispositif pour que l’immunité soit le principe et l’infraction l’exception.
Vous avez choisi d’étendre le champ des immunités interdisant les poursuites pour certaines catégories de personnes et nous nous réjouissons de cette avancée.
Les proches des étrangers « sans papiers », les militants associatifs, les simples citoyens, ne pourront plus être poursuivis pour avoir offert une couverture, un repas ou un toit à leur semblable, un autre être humain.
Les bénévoles et salariés des associations ne sont plus considérés comme des délinquants, un nouveau cas d’immunité vise tout particulièrement leur travail et l’on peut espérer que cesseront également les intimidations et les pressions à leur encontre.
Cet article du texte, nous y souscrivons sans réserve mais nous espérons, Monsieur le Ministre, que vous irez encore plus loin et que vous agirez pour que la solidarité ne soit plus jamais assimilée à de la délinquance.
Nous, femmes et hommes politiques de gauche, avons le devoir de redonner tout son sens à l’un des fondements de notre société, tellement malmené ces dernières années : la fraternité.
En l’état, les écologistes considèrent donc que la rédaction retenue par la CMP, malgré des avancées notables, contient trop de mesures d’exception, uniquement destinées aux étrangers, mesures auxquelles les écologistes se sont toujours opposés.
Notre groupe s’abstiendra donc sur ce texte ».