Deuxième vague : le Parlement encore sur la touche

27 octobre 2020 | Libération

Un débat devrait être organisé jeudi sur de nouvelles mesures prises pour endiguer l’épidémie. Mais les parlementaires sont souvent mis devant le fait accompli.

Les parlementaires se sont habitués à voir le film s’accélérer brusquement sous leurs yeux. Dans la nuit de lundi à mardi, les députés ont débattu du plan de relance, tout en mesurant le décalage entre ces milliards d’euros et la dégradation à toute vitesse de la situation sanitaire. Et le Sénat, qui doit examiner cette semaine le projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire, verrait encore son agenda bouleversé. Les députés, puis les sénateurs, pourraient débattre jeudi du tour de vis que s’apprête à décider le gouvernement pour lutter contre la propagation du coronavirus. Cette idée de recourir à l’article 50-1 de la Constitution permettant cette discussion a été évoquée mardi par le Premier ministre, Jean Castex, lors du petit-déjeuner des responsables de la majorité.

Il y a dix jours déjà, le gouvernement avait suspendu en cours de route l’examen, au Sénat, du texte prolongeant le régime post-état d’urgence sanitaire pour décréter… le retour à ce régime d’exception. «On va être dans le même porte-à-faux. Je ne prétends pas que le gouvernement a un rôle facile mais le calendrier confirme qu’il court après le virus», constate la sénatrice PS Marie-Pierre de la Gontrie. Depuis mars, on en est pourtant au cinquième texte fixant le cadre de l’état d’urgence sanitaire ou de sa sortie transitoire. A chaque fois, larges pouvoirs confiés à l’exécutif pour prendre des mesures restreignant les libertés, pelletée d’ordonnances et débat manu militari à l’Assemblée et au Sénat.

« Comment se fait-il que l’on soit dans le même schéma ? »

La méthode, expéditive, passait – et encore – à l’orée de la première vague épidémique. Chacun était alors pris de court, «on a légiféré en état de sidération», relevait une élue de gauche. Mais qu’en est-il aujourd’hui ? «Le 23 mars, on pouvait concevoir que le gouvernement devait prendre des mesures exceptionnelles, légiférer par ordonnances au motif de l’urgence et, déjà, on tiquait. Mais sept mois plus tard, comment se fait-il que l’on soit dans le même schéma ?» s’interroge Marie-Pierre de la Gontrie. «Quand cette seconde vague déferle, nous comprenons que le gouvernement a été pris dans la même espérance que nous, celle que cette vague n’arrive pas. Et le cadre juridique n’était pas prêt. A nouveau, nous légiférons dans l’urgence, pour recréer l’état d’urgence de mars : il n’était pas abouti alors, il ne l’est pas davantage aujourd’hui. Il n’est pas plus respectueux du Parlement», a déploré samedi le député LR Raphaël Schellenberger.

Certes, le gouvernement, qui reçoit les présidents de groupes mardi soir, pare tout de même la critique, avec la tenue de ce débat qui pourrait être suivi d’un vote. Après le conseil de défense de mercredi, une conférence des présidents devrait en acter les modalités. Cette fois, les parlementaires pourront donc non pas seulement se prononcer sur le cadre large de l’état d’urgence mais sur le concret des mesures. Ce que prônait le sénateur LR Philippe Bas, contacté lundi par Libération «Si après le couvre-feu, on devait franchir un palier supplémentaire, je souhaite que le contrôle du Parlement s’exerce.» Sauf que ses membres s’exprimeront après les annonces faites.

« Addiction à l’état d’urgence »

Quant au texte sur l’état d’urgence sanitaire, il soulève encore le reproche d’un contournement du Parlement. Le gouvernement semble cette fois pousser le bouchon un peu plus loin en demandant la prorogation de l’état d’urgence jusqu’au 16 février 2021 – pour trois mois et demi quand celui-ci a couru au printemps deux fois deux mois. Des restrictions sont ensuite possibles jusqu’au 1er avril 2021, en sortie de ce régime, et ce sans repasser par le Parlement. De nombreux sénateurs demanderont une clause de revoyure. Les habilitations à prendre des ordonnances sont à nouveau très larges mais les députés ont dénoncé le fait que le gouvernement ne s’était pas donné le mal de revenir les faire ratifier. Ils ont réduit à un mois le délai de ratification.

Pour réfuter ce procès, le ministre de la Santé, Olivier Véran, tient les comptes. Selon lui, durant le confinement du printemps (du 17 mars au 10 mai), la crise sanitaire a fait l’objet de 81 heures et 40 minutes de débat en séance à l’Assemblée. «Il y a deux commissions d’enquête et une mission d’information, on auditionne les ministres tous les quinze jours : on est loin d’être mis de côté», estime le député LREM Jean-Pierre Pont. «Obliger le gouvernement à repasser systématiquement devant nous, c’est lui mettre des freins. Or les chiffres explosent», ajoute le rapporteur du projet de loi voté samedi à l’Assemblée et par ailleurs médecin.

Mais pour les oppositions, on ne saurait se satisfaire de ces garde-fous. «Il y a une addiction à l’état d’urgence, une habitude à cette verticalité autoritaire, comme si le gouvernement ne pouvait faire autrement, en prenant le peu de pouvoir qu’a le Parlement», décrit Esther Benbassa, sénatrice EE-LV.

Hervé Marseille, président du groupe Union centriste au Sénat, s’inquiète d’«une espèce de glissement. On nous dit : « Vous comprenez, on n’a pas le temps de discuter. » Mais la loi n’est pas une formalité qu’on n’a qu’à signer en bas de la page». Le mot revient souvent, chez les élus, d’une «accoutumance» aux lois d’exception. Depuis mars, force est de constater qu’ils ne se sont guère trompés.

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