VSD. Vous êtes l’auteure, en 2014, de la première proposition de loi sur la légalisation contrôlée du cannabis. Aujourd’hui, vous militez toujours en ce sens ? Pourquoi ?
Esther Benbassa. Le cannabis en France représente un marché de 3 milliards d’euros par an. C’est la première substance illicite consommée par les adolescents. 16,5 % des collégiens de 3e ont pris du cannabis, ce qui est énorme. Et, à 17 ans, 48 % des jeunes ont fumé un joint. Ces substances psychotropes sont dangereuses pour la santé, en particulier pour les ados, dont le cerveau est en construction. Nous devons d’urgence nous saisir de ce problème de santé publique que la réponse pénale n’a nullement contribué à résoudre. Si on note une diminution de la consommation chez les lycéens, ces dernières années, la répression n’a toutefois pas fait baisser le nombre de consommateurs parmi les jeunes actifs, pas plus que les trafics. De plus, la clandestinité a un impact réel sur la qualité du produit consommé et donc sur sa dangerosité. Il est donc temps de poser avec courage la question de la légalisation contrôlée du cannabis. L’objectif à se donner n’est pas d’encou- rager la consommation, mais plutôt de la faire baisser, tout en cadrant les risques. D’autant que l’enjeu écono- mique de ce trafic est colossal.
Si la consommation de cannabis est légale, des jeunes vont y accéder plus aisément, non ?
Je ne pense pas, les jeunes s’approvi- sionnent déjà très facilement. Les dealers sont à la porte des collèges. J’ai suivi les expérimentations dans le Wisconsin et dans d’autres pays ; il est vrai qu’en dépénalisant le cannabis, on ouvre un marché libéral très impor- tant. Mais ces pays ont accompagné sa légalisation et fait énormément de pré- vention, ce qui a fait baisser le nombre des consommateurs. Comme, en France, la légalisation est taboue, on ne fait ni l’un ni l’autre. Ce n’est pas en disant que le cannabis c’est de la m… qu’on va lutter contre ce fléau. Il faut combattre les blocages idéologiques et moraux, car la politique répressive me- née depuis des décennies est inefficace. Si l’on étudie les pays ayant autorisé son usage, la légalisation semble la plus à même de répondre aux enjeux à la fois sanitaires et sécuritaires.
Qu’attendez-vous comme bienfaits de la légalisation ?
En encadrant par l’État la vente au détail de cannabis aux personnes majeures, on pourra mieux contrôler sa teneur en THC, le tétrahydrocanna- binol, et sa composition : ces produits sont souvent coupés avec des subs- tances encore plus nocives. De plus, on fera baisser la délinquance et de nombreux emplois (estimés à 30000) seront créés. Des économies pourront aussi être réalisées sur les secteurs de la justice et de la police, tout en appor- tant une manne fiscale non négligeable.
Quid des trafiquants, qui seront inévitablement impactés par une vente légale ?
De nombreuses questions restent à étudier, mais on pourrait imaginer de donner des licences de vente aux petits dealers pour qu’ils se reconvertissent.