Terrafemina : Pourquoi le Sénat a-t-il rétabli le délit de racolage passif ?
Esther Benbassa : Après l’adoption du texte dont j’étais l’auteure abrogeant le délit de racolage passif en mars 2013, Madame Najat Vallaud-Belkacem, la ministre des Droits des femmes d’alors, a voulu une loi plus large sur la prostitution, dans une logique abolitionniste. L’abrogation du délit de racolage était en fait considérée comme une carotte pour faire ensuite adopter la pénalisation du client. Or, le Sénat étant passé à droite, Monsieur Sarkozy a montré le bout de son nez et a fait tout simplement rétablir le délit de racolage passif qu’il avait instauré en 2003. Or, une fois le délit de racolage passif rétabli, la pénalisation du client, défendue lors des débats à l’Assemblée nationale, se retrouve vide de sens. Elle ne sert plus à rien. On a assisté purement et simplement à un « détricotage » de la loi. C’est inadmissible.
Pour autant, comme je l’ai déjà dit maintes fois, la loi présentée par le groupe socialiste est à mes yeux une loi « hors sol », car elle est complètement déconnectée de la réalité. Hier soir encore, je dînais avec des prostituées de l’association « Les Amis du Bus des Femmes » (association qui travaille avec les prostituées et lutte contre la traite humaine, ndr) et des prostituées indépendantes, car nombre d’entre elles étaient venues écouter les débats, et elles me disaient toutes la même chose : ce n’est pas en s’attaquant aux femmes qu’on va lutter contre les réseaux et les mafias. La pénalisation du client ou le délit de racolage passif, tout cela, c’est de la poudre aux yeux.
On vante le modèle suédois, cité en référence par les partisans de la pénalisation du client, mais celui-ci est pourtant dangereux. La revue médicale très sérieuse The Lancet a ainsi dénoncé récemment la précarisation que ce modèle engendre en termes de santé. Il s’est traduit par de graves violations de droits pour les personnes qui se prostituent et une exposition accrue aux violences et au VIH.
On nous martèle que la prostitution a baissé de 50% en Suède depuis l’instauration de la pénalisation de ce client, mais il s’agit seulement de la prostitution de rue. On ne parle pas de la prostitution qui se passe entre les murs ou sur Internet, invisible et donc impossible à encadrer. » […]
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