POLITIQUE – En cette veille de la COP21, moment crucial pour tous ceux et toutes celles qui se battent contre le réchauffement climatique, ses retombées néfastes sur la planète et la menace qu’il fait peser sur l’avenir du genre humain lui-même, en ces temps, pour le pays, de profonde crise sociale, identitaire et culturelle, et quand l’afflux de réfugiés nous rappelle la gravité, la violence et la barbarie de conflits qui font rage à nos portes, on aurait pu imaginer que la gauche et les écologistes auraient trouvé urgent de réaffirmer leurs valeurs, de réorienter leur action dans le sens d’une authentique fidélité à ces valeurs, d’agir, enfin, pour ne pas abandonner le terrain à d’autres, droite sans boussole, extrême droite sans principes.
Quand notre devoir, à nous spécialement, écologistes, était de surmonter ensemble et solidairement nos divergences de vues et nos conflits internes, de rassembler les talents, de fédérer les énergies, François de Rugy et Jean-Vincent Placé n’ont rien trouvé de mieux que de partir, dans une précipitation manifeste, je n’ose dire dansune surprenante improvisation, pour fonder un parti à l’avenir incertain, dans l’espoir, plutôt ténu, d’entraîner quelques déçus dans leur sillage (quelques-uns, en effet, les ont suivis, mais il n’y a pas eu d’hémorragie: les troupes sont toujours à EELV).
Destins ministériels contrariés
Lorsque, comme moi, on est venu d’ailleurs en politique, qu’on a eu une autre vie avant, et qu’on y a appris la vie, justement, comment ne pas s’étonner, que dis-je, se désoler d’un tel gâchis? Comment se faire à l’idée que le motif de tout ce bruit et de toute cette fureur pourrait n’être qu’un destin ministériel contrarié? Je ne vais pas accabler les partants. Mais eux jouent avec l’écologie politique. Et se rendent-ils bien compte que d’autres, plus puissants et encore plus retors qu’eux, machiavels à la petite semaine, sont en train de jouer avec eux? Et qu’il ne vaut sans doute pas la peine de s’agiter pour un gouvernement qui tangue, tergiverse, hésite, trahit chaque jour un peu plus ceux qui l’ont porté au pouvoir, oublie le peuple, et fait, en matière d’écologie, un jour un pas en avant, pour le lendemain en faire deux en arrière?
Nous sommes tous affectés de voir nous quitter des gens que nous avons appréciés dans le passé, et avec qui nous avons travaillé et combattu. Les écologistes sont en colère, certes. Et cette colère a commencé de s’exprimer, quoique avec mesure, au travers d’une pétition déjà signée par nombre d’entre eux, qui demande aux sénateurs EELV de ne pas maintenir Jean-Vincent Placé à la présidence du groupe écologiste du Sénat. Mais les écologistes sont tristes aussi. Ne valent-ils donc vraiment pas mieux, ces partants, que leur allégeance parfois servile à un Président de la République qui, de toute apparence, ne cesse de les manipuler? Sont-ils si sûrs de pouvoir peser davantage à l’intérieur du gouvernement qu’à l’extérieur, à la fois pour plus d’écologie et pour plus de justice sociale? Ou n’ont-ils en tête que l’accès à une belle fonction, susceptible de flatter leur ego, et rien de plus? Ont-ils un projet, un programme, ou ne sont-ils que de simples calculateurs?
Les Français, eux, hélas, ne se posent plus ce genre de questions. Ils y ont déjà répondu d’avance. Par un mépris qui enveloppe presque tout le monde politique. Alors même que tout fragilise les Français, nous ne trouvons rien d’autre à leur offrir qu’une image fracturée.
Triste spectacle et manœuvres d’arrière-cour
Les « frondeurs » du PS sont restés au PS pour tenter de changer leur parti de l’intérieur et d’infléchir sa ligne. Nos écologistes « réformateurs » ont fait le contraire, bizarrement incapables d’assumer le rôle, pourtant essentiel dans toute structure démocratique, de minorité active et stimulante. Quand les militants écologistes -de quelque nuance qu’ils se réclament- se battent sur le terrain, et font campagne, avec détermination et conviction, en cette veille d’élections régionales, quelques « leaders », après avoir déserté, s’échinent à torpiller leurs efforts, en propulsant artificiellement au devant de la scène une formation qui n’a pour l’instant qu’un nom, un logo, un numéro 1, un numéro 2, et guère plus.
Tout cela serait assurément bien assez. Eh bien non ! À ce grand et beau spectacle, il faudra ajouter les manœuvres d’arrière-cour au Sénat. Jean-Vincent Placé, tout le monde se l’accorde, et j’ai toujours été la première à le dire, a été, pendant quatre ans, un bon président du groupe écologiste du Sénat.
Aujourd’hui, ce bon président n’est plus. Parce qu’il n’a de souci que de lui-même, et non de son groupe. M. Placé s’accroche. Il fonde son propre mouvement, s’agite pour lancer, aux régionales, des candidatures concurrentes face aux listes EELV, n’a d’autre objectif que de détruire le parti qu’il a quitté (et auquel il semblerait qu’il a cessé de payer ses cotisations depuis belle lurette). Les membres du groupe écologiste du Sénat, eux, sont encore, à ma connaissance et dans leur grande majorité, affiliés à EELV. Eh bien, M. Placé ne s’en formalise guère! Au moins, à l’Assemblée, François de Rugy a-t-il eu l’intelligence et la louable correction de démissionner de la présidence de son groupe. M. Placé ne s’embarrasse pas de cohérence, lui. Il ne lâche pas son fauteuil. C’est sans doute la seule chose qu’il pourra demain faire valoir auprès de François Hollande pour tenter lui donner encore l’illusion qu’il pèse un peu.
J’ignore ce qu’il adviendra dans les semaines à venir, ni comment mes collègues réagiront. Mais je suis historienne. Et je sais mieux que personne à quelles catastrophes peuvent aboutir, lorsqu’elles sont conduites à grande échelle, les manœuvres de ce genre. Nous n’en sommes pas là, heureusement. Reste que cette tentative manifeste de dévoiement de la règle démocratique, ce mépris de l’exigence de clarté et de cohérence partagée par tous nos concitoyens, signent un manquement grave à l’éthique politique. Et je ne serais pas étonnée, au cas où M. Placé serait maintenu à son poste, que quelques sénateurs écologistes choisissent, la mort dans l’âme, de quitter leur groupe et de risquer d’en provoquer la dissolution (nous sommes dix aujourd’hui, et il faut être dix au minimum pour former un groupe). La personne de Jean-Vincent Placé n’est pas en cause, je lui conserve encore une bonne part de l’amitié que je lui porte depuis que je le connais. Mais il n’est plus question ici d’amitié. Juste de rigueur et d’honnêteté politiques.
Personnellement, je souhaiterais que nous arrivions à un consensus. Et ma proposition est simple: un bureau renouvelé, et une présidence EELV tournante, renouvelée tous les six mois pour les deux ans de mandat qui nous restent. Je précise que je passe mon tour et ne suis pas candidate. Je ne vois guère d’autre moyen raisonnable de sauver le groupe écologiste du Sénat. À l’Assemblée, vu le nombre de députés concernés, la marge de manœuvre est plus grande.
Diviser EELV pour s’assurer d’arriver au second tour de la présidentielle?
Il est temps de comprendre que nous, citoyens, militants, élus fidèles au mandat que nous ont confié les électeurs, ne pouvons pas indéfiniment perdre notre énergie à combattre les petites ambitions personnelles de quelques-uns. Cette énergie, nous devons l’employer d’abord à défendre le bien commun. Nous avons beaucoup à faire aux régionales pour endiguer la montée de la droite et de l’extrême droite, beaucoup à faire aussi pour répondre aux craintes et aux angoisses légitimes, face à l’avenir, de nos concitoyens.
Le Parlement n’est pas une cour de récréation. Nous n’avons pas été élus pour être les compagnons de jeu de quelques garnements égoïstes. Il y a assurément beaucoup à faire à l’intérieur des partis pour améliorer leur fonctionnement. À l’extérieur aussi, en ménageant des espaces de rencontre et d’action collective plus ouverts et plus souples, de sorte à faire participer à la vie de la Cité tous les citoyens qui y aspirent. L’ère des partis est peut-être en train de se clore. Raison de plus pour ne pas en multiplier vainement le nombre.
La comédie du pouvoir ne fait plus rire personne. Oubliant qu’il y a peut-être d’autres urgences, François Hollande s’imagine sans doute pouvoir empêcher, en divisant EELV, une candidature de Cécile Duflot à la présidentielle de 2017, et accéder ainsi au second tour. Il se pourrait bien, hélas, que lui ou les apprentis-sorciers qui le conseillent se retrouvent en fin de parcours Gros-Jean comme devant.
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