De la contravention au délit, histoire de la lutte contre le racolage (La Croix, 27 mars 2013)

Le Sénat s’apprête à abroger jeudi 28 mars le délit de racolage public.

Retour sur l’histoire mouvementée d’une répression qui dure depuis près de soixante-quinze ans en France.

Arrêter de verbaliser les prostituées était l’une des promesses de campagne de François Hollande. Elle devrait être tenue jeudi 28 mars, le gouvernement soutenant au Sénat une proposition de loi écologiste en faveur de l’abrogation du délit de racolage passif. Mais « inciter à des relations sexuelles monnayées » n’a pas toujours été considéré comme un délit en France.

Une répression plus sévère que celle du proxénétisme

C’est en 1939 que le racolage, qui désigne le fait d’offrir des relations sexuelles contre une rémunération, devient une infraction passible d’une contravention. Celle-ci ne concerne toutefois que le racolage actif. Elle devient un délit en 1946, alors que la fermeture des maisons closes laisse craindre que la prostitution ne se déplace dans la rue. Le racolage est alors puni de 6 mois à 5 ans d’emprisonnement et de 5 000 à 50 000 € d’amende.

Une répression bien plus sévère que celle du proxénétisme, qui ne peut entraîner de peine de prison supérieure à 2 ans. « La loi de 1946 est très révélatrice de la lutte contre la prostitution en France, souligne Grégoire Théry, secrétaire général du mouvement du Nid, qui lutte pour l’abrogation du délit de racolage. On préfère reporter la responsabilité sur les prostituées, qui passent du statut de victimes à celui de coupables ».

D’aucuns dénoncent une incohérence de la loi et, en 1958, le racolage actif redevient une contravention. Un décret réprime également toute « indécence sur la voie publique », introduisant la notion de racolage passif. Car si le texte ne semble pas viser spécifiquement les personnes prostituées mais bien « ceux dont l’attitude est de nature à provoquer la débauche », dans les faits, elles sont les seules à se voir appliquer des sanctions.

Un flou juridique

Pour Grégoire Théry, le terme de racolage passif est proche de l’oxymore. « Par définition, racoler nécessite une action. La notion de racolage passif, très floue, entraîne une insécurité juridique et met les magistrats très mal à l’aise. » La Cour de cassation sera même obligée de préciser à plusieurs reprises que le simple fait de se promener en tenue légère sur des lieux de prostitution ne constitue pas une infraction.

L’incrimination sera finalement supprimée en 1994, avec l’entrée en vigueur du nouveau code pénal. Quant au racolage actif, défini comme le « fait, par tout moyen, de procéder publiquement au racolage d’autrui en vue de l’inciter à des relations sexuelles », il reste passible d’une contravention et d’une amende pouvant aller jusqu’à 10 000 francs.

Les clients poursuivis

La requalification du racolage, passif comme actif, en délit, date de 2003, avec la loi relative à la sécurité intérieure de Nicolas Sarkozy. Les sanctions sont considérablement alourdies : deux mois d’emprisonnement, 3 750 € d’amende et des peines complémentaires pouvant aller jusqu’à l’interdiction de séjour. « Sans compter que le délit permet d’interpeller, placer en garde à vue et fouiller les personnes prostituées, précise Grégoire Théry. Alors que jusqu’ici, la police n’avait que peu de marge de manœuvre. »

La loi est présentée comme un moyen de lutter contre l’essor des réseaux de prostitution étrangers et la montée du proxénétisme. « Mais dans les faits, on revient à la logique des années 1950. Cette loi précarise encore davantage les personnes prostituées et les soumet à une violence institutionnelle », regrette Grégoire Théry.

En 2007, le parquet de Nice décide de poursuivre pour racolage les clients, plutôt que les prostituées. Une démarche en théorie permise par le texte selon le procureur niçois, mais qui n’est validée ni par le tribunal correctionnel ni par la Cour d’appel. Pour le Nid, c’est une preuve supplémentaire que « les personnes prostituées sont encore et toujours désignées comme coupables ».

Vers une abrogation

S’il est favorable à l’abrogation du délit de racolage, le mouvement aurait préféré une réflexion plus globale et cohérente autour de la prostitution. « En ne se concentrant volontairement que sur le point du racolage, on ne répond pas aux autres questions, notamment celle des arrêtés anti-prostitution dans les villes ou les retraits de titres de séjour pour les prostituées », souligne Grégoire Théry.

Aujourd’hui, le bilan de la lutte contre le racolage est pour le moins nuancé. Dans un rapport remis à l’Assemblée en 2011, le député UMP Guy Geoffroy soulignait une « fragilisation des personnes prostituées » et une dégradation de leurs relations avec les forces de l’ordre. Sans compter la baisse du nombre de condamnations pour racolage, passées de plus de 1 000 en 2005 à 206 en 2009.

Avec la proposition de loi de la sénatrice écologiste Esther Benbassa, le délit de racolage devrait être abrogé. En attendant que le gouvernement propose une loi globale pour, comme le désirait la ministre des droits des femmes Najat Vallaud-Belkacem, abolir la prostitution.

MARGAUX BARALON  

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