L’opération, menée par l’association Utopia56, visait à mettre au chaud des exilés et des personnes privées de logement. La mairie de Paris a annoncé leur déplacement temporaire dans deux gymnases.
«Les mises à la rue, c’est fini !» 13 h 45 dimanche dans le XVIe arrondissement de Paris. Une petite foule est massée devant l’une des entrées de l’école publique Erlanger, à l’angle de la rue du même nom et du boulevard Exelmans, dans le quartier d’Auteuil. Point de rendez-vous tenu secret jusqu’au dernier moment par les associations qui mènent l’opération. Sur place, il y a aussi des élus comme la sénatrice EE-LV Esther Benbassa, des citoyens lambda mais surtout des personnes exilées et à la rue. Le but de l’histoire est simple : les mettre à l’abri dans ces bâtiments, fermés depuis près de deux ans. «On vient pas nous chercher, alors au bout d’un moment on prend les lieux», lance fougeusement Yann Manzi, cofondateur de l’association d’aide aux migrants Utopia56. Pourtant, «450 demandes individuelles de réquisitions portant sur huit bâtiments ont été faites en bonne et due forme mais aucune réponse de la préfecture», assure Maël, coordinateur de l’antenne Paris de la même association.
Les représentants de DAL et Esther Benbassa. Photo Albert Facelly pour Libération
«Il faut qu’on nous aide»
La porte finit par s’ouvrir, tout le monde s’engouffre. Et les dédales du passé surgissent. Par terre et sur les murs, des dessins d’enfants. Tous colorés. Ici ou là des petites tables et chaises, mais aussi des lavabos avec leurs distributeurs à savon qu’on ne peut s’empêcher de regarder avec tendresse. Au-dessus, des lianes de laine de verre jaune dégringolent des faux plafonds. «On ne bougera pas tant qu’il n’y aura pas de solution proposée à ces populations vulnérables», poursuit Yann Manzi.150 à 200 personnes, peut-être plus «si on se serre», pour la plupart des demandeurs d’asile qui «survivent sous les ponts dans la banlieue nord de la ville», resteront donc ici.
Devant l’école, à l’abris de la neige. Photo Albert Facelly pour Libération
D’après Yann Manzi, une trentaine faisait d’ailleurs partie du campement de la place de la République, à Paris, violemment évacué par les forces de l’ordre en novembre dernier. Parmi eux, il y avait Khan Ahman, un jeune Afghan de 19 ans. Il est là cet après-midi avec ses «frères» pour soutenir l’opération. Son camarade Ahmas Jawad, 22 ans, est en France depuis trois mois. Il dort tous les soirs dans la rue du côté de Strabourg-Saint-Denis, Barbès ou Saint-Denis. Ce soir, «il ne sait pas». Le plus dur, c’est pour la santé. «Il fait vraiment vraiment froid même si vous portez plusieurs manteaux. Il faut qu’on nous aide.»
Photo Albert Facelly pour Libération
Ping pong des responsabilités
Au beau milieu d’une fanfare, on s’active pour nettoyer. Certains ont déjà mis des matelas par terre. D’autres jouent au foot. Qu’en dit la mairie de Paris, propriétaire du lieu ? «Les associations ont raison de tirer la sonnette d’alarme sur le fait que beaucoup des personnes réfugiées soient à la rue et que l’Etat ne met pas en œuvre de solution durable, souligne Ian Brossat, adjoint à la Ville de Paris en charge du logement, de l’hébergement d’urgence et de la protection des réfugiés. Cette école est vide, certes, mais elle est en très mauvais état et pas chauffée. Ce n’est pas un lieu d’hébergement adapté ni sécurisé.»80 logements sociaux doivent y voir le jour. Mais le projet, porté par Paris Habitat, «a pris du retard, à cause d’un recours des riverains, comme d’habitude dans le XVIe arrondissement», ironise l’élu, joint par Libération.
La Fanfare accompagne l’installation. Photo Albert Facelly pour Libération
Le permis de construire a été annulé il y a deux semaines et Paris Habitat doit revoir sa copie. En guise de «solution», «dès ce soir, la ville mobilisera deux gymnases pour les personnes, un dans le Ve arrondissement et un dans le XVIe, affirme l’élu communiste. Il faudra que l’Etat prenne le relais. Un gymnase, ça dépanne mais ce n’est pas la panacée». Effet ping-pong des responsabilités, comme souvent. Pas sûr que les associations présentes ce dimanche apprécient, elles qui n’ont eu de cesse de rappeler «l’urgence de la situation» et «la nécessité de prendre vigoureusement le taureau par les cornes pour lutter contre le « sans-abrisme » et la crise du logement, le logement cher et les expulsions massives qui s’annoncent aussi pour le printemps.» En fin de journée dimanche, Utopia56 a annoncé sur Twitter son intention de «[veiller] à ce que ce gymnase soit suivi de réelles solutions d’hébergement».
Lien de l’article : https://www.liberation.fr/france/2021/01/24/dans-le-xvie-arrondissement-de-paris-des-personnes-sans-abri-investissent-une-ecole-inoccupee_1818370