« Les policiers doivent se garder de tutoyer les citoyens ou de multiplier les contrôles abusifs, a rappelé lundi le ministre de l’Intérieur Manuel Valls, toutefois sceptique sur la pertinence du projet gouvernemental de remettre un reçu à chaque contrôle.
L’annonce le 1er juin par Jean-Marc Ayrault d’une mesure « en préparation » pour que soit créé un « reçu » destiné à éviter les contrôles au faciès à répétition, avait été accueillie avec hostilité par des policiers qui y voyaient une marque de défiance.
Ce projet était sensé répondre au 30e des « 60 engagements pour la France » de François Hollande qui entendait lutter notamment « contre le délit de faciès dans les contrôles d’identité par une procédure respectueuse des citoyens ».
Face à la fronde naissante des policiers, M. Valls s’était limité à indiquer que ce récépissé était une « piste » de sa réflexion.
Sénatrice EELV, auteure d’une proposition de loi sur la lutte contre le contrôle au faciès, Esther Benbassa avait été reçue au cabinet de M. Valls la semaine dernière: « J’avais senti des réticences » sur le reçu, reconnaît-elle.
Lundi, dans la banlieue lyonnaise, face à la nouvelle promotion de commissaires, M. Valls a affiché sa fermeté, appelant « à proscrire les contrôles abusivement répétés ou réalisés sans discernement ». Bannie également, « toute forme de familiarité et de tutoiement qui dégradent la relation entre les forces de l’ordre et les citoyens. »
Mais il a rappelé que les contrôles d’identité étaient « indispensables ». Et sur le récépissé, il n’a pas caché son scepticisme: « Je ne veux pas imposer un dispositif qui, très vite, tournerait au ridicule et serait inopérant ». « Je ne vois pas, à ce stade, comment ça marche », a-t-il encore dit répondant à des questions sur le « récépissé ».
Retour du matricule ?
Pendant que les syndicats de policiers ne cachaient pas leur satisfaction de voir le récépissé « enterré », ses défenseurs s’inquiètent.
« J’espère qu’on n’est pas en train d’assister à une reculade sous la pression des syndicats policiers », commente Matthieu Bonduelle, du Syndicat de la magistrature.
Pour Lanna Hollo, d’Open Society Justice Initiative, ce reçu « est une mesure de transparence » et peut « aussi protéger les policiers faussement accusés de contrôles au faciès ». En 2009, son organisation, émanation de la fondation Soros, avait réalisé une étude selon laquelle un Noir ou un Arabe ont respectivement 6 et 7, 8 fois plus de chances d’être contrôlés qu’un Blanc.
Réda Didi, du think tank Graines de France, regrette que le débat ait été « mal présenté » aux policiers. Open Society et Graines de France ont demandé à être reçus place Beauvau. En vain jusqu’à présent, selon Lanna Hollo et Réda Didi.
Pour Patrice Ribeiro, de Synergie (2e syndicat d’officiers), « le récépissé est enterré car le ministre a compris que c’était un non-sens ». Aux yeux de Jean-Claude Delage d’Alliance (2e syndicat de gardiens de la paix), « c’est une bonne chose que ce projet, ressenti comme une mesure de défiance et de frein a l’action policière, soit abandonné ».
M. Valls a consulté le Défenseur des droits Dominique Baudis et la Commission nationale Informatique et libertés (Cnil).
D’autres outils sont à l’étude pour éviter tout contrôle abusif: la remise d’une « carte de visite » (qui à la différence d’un récépissé ne nécessite pas la création d’une base de données), et surtout la réapparition sur les uniformes d’un matricule visible qui a disparu depuis 1985. M. Valls est « très ouvert » à cette idée, dit son cabinet. M. Ribeiro y voit un « dénominateur commun sur lequel on peut se retrouver ».