Elle quitte un instant le chapiteau, le regard planqué derrière ses grandes lunettes, et se dirige vers nous. Esther Benbassa nous prend par le bras et lâche : «Je ne suis pas inquiète mais soucieuse.» L’élection européenne tracasse la sénatrice. Elle souhaite étaler ses doutes. S’interroge sur les alliances. Et elle n’est pas la seule. Jeudi, lors des journées d’été d’Europe Ecologie-Les Verts organisées dans un centre culturel de Strasbourg, on a enten un peu plus tard, elle s’installe sur une chaise en plastique et offre le café. En début de semaine, elle a écrit un mail au secrétaire national, David Cormand. Son souci ? Yannick Jadot. Désigné tête de liste des écologistes pour l’élection européenne, il affirme viser les 15 % mais refuse d’entendre parler d’alliance avec le mouvement de Benoît Hamon, Génération·s. «On ne peut pas fermer toutes les portes, nous devons discuter», dit-elle.

Coulisses

Au fil de la journée, on croise plusieurs dirigeants sur la même ligne, à l’image de Julien Bayou. Le porte-parole explique : «Lorsque Yannick dit que notre combat ce n’est pas la reconstruction de la gauche, il a raison. Mais si nous sommes sur la même ligne […] qu’un autre mouvement ou parti politique on va avoir du mal à expliquer aux militants pourquoi chacun part de son côté.» Au milieu des interrogations, le chef de famille, David Cormand, a l’air serein avec son pantalon vert couleur EE-LV. Le secrétaire national temporise : «On a encore du temps. Nous avons notre tête de liste, notre programme européen et écologique et la porte est ouverte à tous ceux qui s’y retrouvent.» Puis répète à l’envi une phrase de Dany Cohn-Bendit, qui date de 2009, l’âge d’or des écolos : «Il disait toujours « je ne te demande pas d’où tu viens mais où nous voulons aller ensemble ». Et tous ceux qui étaient présents à cette époque devraient s’en souvenir.» Jadot, le premier.

A Strasbourg, nombreux sont ceux qui soupçonnent David Cormand de pousser des deux mains en coulisses pour «imposer» l’alliance avec Benoît Hamon. Il réfute : «Si on me propose une liste avec Génération·s, je décline, je ne veux pas faire de tambouilles. Mais je me répète, je défends une ligne écolo et tous ceux, j’ai bien dit tous ceux, qui se retrouvent dans notre programme peuvent nous rejoindre.» Le secrétaire national discute souvent de ce sujet avec sa tête de liste et l’incompréhension reste intacte. Yannick Jadot a le sourire, posé sous le soleil, il parle foot avant d’aborder le dossier qui crispe. «Le sujet de l’alliance avec Génération·s intéresse seulement les journalistes. Lorsque je croise des militants, des adhérents, on parle du glyphosate, des incendies en forêt… des sujets du quotidien, ils se moquent des tambouilles.» Sur la stratégie, il n’esquive pas. Selon lui, l’élection européenne est différente des autres car «elle se joue en un tour et les électeurs votent pour un projet, sans calcul pour arriver au second tour». Et la porte ? «Elle est ouverte à tous les écologistes qui se retrouvent dans notre programme.» Un point commun avec David Cormand.

Illisible

Leur différence ne tarde pas à surgir. On le lance sur Benoît Hamon : «Lequel ? Celui qui s’approche de Mélenchon ? Celui qui s’est présenté aux législatives sous la même étiquette [PS, ndlr] que Stéphane Le Foll ? S’il a le même programme que nous, pourquoi il a créé un parti ?» Comprendre : Hamon pour lequel Jadot s’était désisté à la présidentielle est devenu illisible. L’élu de la Sarthe, Alexis Braud, qui roule pour Jadot, ajoute : «C’est l’occasion pour les écologistes de savoir ce qu’on représente électoralement, ça ne veut pas dire qu’on ne discutera avec d’autres formations politiques lors des municipales, régionales ou départementales…» Il poursuit, sûr de ses forces : «Je sais que plusieurs dirigeants du parti ne sont pas d’accord avec nous, mais à mon avis nous sommes majoritaires chez les adhérents et sympathisants.»

En fin de journée, on tombe sur Sandra Regol, une autre porte-parole du parti qui se dirige vers la buvette. Elle est heureuse de voir du monde à Strasbourg, la direction annonce près de 1 000 personnes sur les trois jours. Au sujet des européennes, elle ne prend pas de raccourcis : «On passe plus de temps à taper sur nos concurrents que sur nos adversaires. Et je n’arrive pas à percer la cause des tensions entre Jadot et Hamon, je pense que la présidentielle n’a pas été digérée.» Puis : «De toute façon, c’est encore une affaire entre mâles.»

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