« Cannabis: des propositions sans effet » (Public Sénat, 12 avril 2016)

En souhaitant ouvrir le débat sur « la fin de la prohibition » du cannabis, Jean-Marie Le Guen a été promptement recadré par l’exécutif et a vu s’abattre sur lui les foudres de l’opposition. Depuis le début du quinquennat de François Hollande, il n’est pas le premier parmi les ministres à émettre des propositions dans le sens d’une évolution de la législation. Sans effet jusque là…

Le chiffon rouge a cette fois-ci été lancé par le secrétaire d’Etat aux relations avec le Parlement. De surcroit médecin de formation, ce proche de Manuel Valls n’est pourtant pas vraiment réputé pour son laxisme. Hier soir, sur BFM-TV, alors que le Premier ministre a annoncé dans la journée son plan pour la jeunesse, voilà que Jean-Marie Le Guen prend tout le monde de court : « Le cannabis est une très mauvaise chose pour la santé publique, en particulier chez les jeunes. Mais la prohibition n’amène pas une diminution de la consommation » déclare-t-il avant d’espérer « que le Parti socialiste dise enfin la vérité, propose une vérité: l’interdit moral ne crée rien du tout, il crée beaucoup de dégâts dans la société française. Puis, il précise vouloir « aller vers des mécanismes de légalisation contrôlée, et surtout avec des politiques d’éducation et de santé publique », car « il faut armer les jeunes pour véritablement les convaincre » de ne pas consommer du cannabis.

Le recadrage de l’exécutif

Voilà le sempiternel débat sur la dépénalisation ou légalisation du cannabis relancé. Et si les deux propositions sont différentes, elles ne franchissent jamais le stade de l’évocation. C’est Stéphane Le Foll, porte-parole du gouvernement et ministre de l’Agriculture qui s’est chargé de rectifier le tir ce matin en expliquant que les propos de son collègue n’étaient pas « la position du gouvernement ». Il assure en outre « qu’il n’y a aucune piste de travail ni de réflexion engagée » sur cette question au sein de l’exécutif. La ministre de l’Education, Najat Vallaud-Belkacem précise elle  qu’ « il n’y a pas de dépénalisation en vue ».

Mais trop tard, l’occasion est trop belle pour les Républicains d’intenter à la gauche un nouveau procès en laxisme, récurent lorsque le débat autour du cannabis est sur la table. Beaucoup d’entre eux y sont  donc allés de leurs tweets matinaux (voir ci-dessous).

La gauche et le cannabis : un débat sans cesse rallumé et éteint dans la foulée

La gauche de gouvernement a-t-elle un problème avec le cannabis ? Si on remonte au début du quinquennat de François Hollande, on note plusieurs sorties de route de la part de ministres en poste. Cécile Duflot, Vincent Peillon ou encore Christiane Taubira on bien tenté de rallumer le débat d’une évolution de la législation actuelle. Tous ont été recadrés. Lors de la dernière campagne présidentielle, François Rebsamen, à l’époque qualifié de monsieur sécurité de François Hollande, avait lui aussi abordé la question. Sa proposition destinée à transformer le délit de consommation de cannabis en contravention avait été jugé « irresponsable » par Nicolas Sarkozy. Ce dernier avait pourtant fait la même en 2003. « Il ne l’a pas appliqué car entre temps il a consulté des experts notamment des policiers qui lui ont expliqué quels problèmes en termes de santé publique cela pourrait créer », tempérait en octobre dernier Bruno Beschizza , maire (LR) d’Aulnay-sous-Bois et Secrétaire National à la Sécurité.

Les travaux parlementaires restés lettres mortes

Il faut donc regarder vers le Parlement pour voir des travaux plus poussés en la matière. En 2011, l’ancien ministre de l’Intérieur, Daniel Vaillant alors député socialiste est l’auteur d’un rapport prônant une légalisation contrôlée du cannabis. Interrogé par publicsenat.fr en octobre dernier, il confirme que son rapport est resté lettre morte. « Dès que vous prononcez des mots comme la fin de l’interdit ou légalisation contrôlée, immédiatement vous avez face à vous le FN, la droite, quand ce ne sont pas les gens de gauche qui ont peur d’appréhender la question et de lever ce tabou » déclarait-il avant de reconnaitre que pour traiter de la question de cette drogue « les périodes pré-électorales ne sont pas les plus faciles pour ça ». Il affirme également que la dépénalisation ou la contraventionnalisation de la consommation n’est pas non plus la panacée car elle  laisse « le trafic se développer ». Publié en toute discrétion le 15  octobre dernier, un décret autorise pourtant la transaction pour les consommateurs de cannabis. Autorisées au cas par cas par un procureur,  un fumeur de joint interpellé peut désormais écoper d’une simple contravention de troisième catégorie (jusqu’à 450 euros d’amende).

Du côté du Sénat, c’est la sénatrice EELV, Esther Benbassa qui a tenté d’avancer sur le sujet l’année dernière avec une proposition de loi, là aussi, sur la légalisation contrôlée du cannabis. Son initiative part également en fumée, la gauche s’abstient et la droite la rejette. « Les socialistes sont très conservateurs sur cette question. La ministre de la Santé n’est même pas venue lors des débats. Elle a probablement craint qu’on dise qu’elle s’y intéressait et nous a envoyé la secrétaire d’Etat aux droits des femmes » se souvient la sénatrice.

L’absence de pragmatisme sur cette question

« La question est trop politisée en France et partagée entre laxisme et répression. Certains de nos voisins européens on une approche plus pragmatique  » note la sociologue Anne Coppel co-auteur de « Drogues, sortir de l’impasse » ed. La Découverte. Pour cette chercheuse, la lutte contre la drogue doit se faire sous le prisme d’ « Evidence Based Policy ». « On mène une politique publique, on évalue les résultats et s’ils sont décevants, on la change » traduit-elle. Si Esther Benbassa évalue à 540 millions par an le coût de la répression de la consommation du cannabis, une légalisation dans le cadre d’un monopole public pourrait rapporter 1,8 milliard par an comme le révèle en 2014 une étude du think tank Terra Nova.

Déclaration de Le Guen : un écran de fumée pour la jeunesse ?

De l’avis de bon nombre élus de l’opposition, les déclarations de Jean-Marie Le Guen ne sont ni plus ni moins qu’un écran de fumée pour rabibocher le gouvernement avec la jeunesse, à l’heure où une partie d’entre elle passe la « NuitDebout » ou manifeste contre la loi travail. « C’est assez étonnant de sa part » concède Esther Benbassa qui ne veut pas « connaître ses raisons » et préfère voir ça comme « un  pas en avant dans le débat qui peut sensibiliser l’opinion publique ». Pour Jean-Daniel Levy Directeur du Département Politique & Opinion d’Harris Interactive « Cette déclaration arrive comme un cheveu sur la soupe ». « La dépénalisation de la consommation du cannabis n’est pas une revendication électorale, ce n’est pas une aspiration de la société Française ni même de la jeunesse. En 2012, seulement 33% des français y était favorables, 47% chez les sympathisants socialistes » rappelle-t-il. Pour 2017, ce n’est donc pas le cannabis qui fera le joint entre la gauche et les Français.

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