Campagne de communication sur l’abstention : « C’est vraiment infantilisant cette volonté d’essayer de parler comme un jeune »

Face à l’abstention massive des jeunes Français et Françaises lors du premier tour des élections régionales et départementales, les partis politiques redoublent d’efforts pour convaincre la jeunesse de se rendre aux urnes dimanche prochain. Mais le désamour pour ces élections semble, chez une partie de la population, bien trop profond.

« Dimanche, avec mes potes, je vote ». Du moins, c’est ce qu’enjoint à faire le parti Les Républicains dans une campagne diffusée sur Twitter, à destination de la jeunesse. L’objectif ? Mobiliser cette frange de la population, qui s’est largement abstenue lors du premier tour des élections régionales et départementales. 87 % des 18-24 ne se sont pas rendus aux urnes dimanche 20 juin.

Du côté du gouvernement, on a là aussi décidé de prendre le problème à bras-le-corps. À l’initiative de Marlène Schiappa, la ministre déléguée à la Citoyenneté, une vidéo a également été dévoilée sur Twitter, jeudi 24 juin. Le message, véhiculé sous fond de guitare électrique, est simple. Voter ne prend que 15 minutes. À savoir autant que « checker ses notifs » ou encore « faire ses pronos », fait savoir le spot, à grand coût de termes qu’on considère au gouvernement comme parlant aux jeunes.

Des campagnes qui ne convainquent pas leurs cibles

« L’argument central, est de dire que cela prend seulement 15 minutes de voter. Mais ça ne dit pas la raison pour laquelle il faut le faire. Ça ne va pas convaincre les gens de passer le cap. L’abstention est un problème plus compliqué, que ce clip n’adresse pas du tout » analyse Philippe Moreau Chevrolet, communicant et professeur à Sciences Po Paris, en réaction au spot gouvernemental.

Une campagne qui raterait donc son objectif initial, c’est-à-dire lutter contre l’abstention des jeunes. Quant à la campagne « Dimanche, avec mes potes, je vote », initiée par Les Républicains, là aussi, l’objectif ne semble pas être atteint. Sur Twitter, elle a entraîné son lot de réactions ironiques, notamment suscitées par la photo utilisée en illustration. Disponible sur un site d’images libres de droit, elle s’intitule « Stylish happy young friends sitting at the park, making selfie », à comprendre « De jeunes amis stylés assis au parc, prenant un selfie ».

« Ça rend vraiment moyen. Ils comptent sur les jeunes pour avoir plus de voix, mais ils n’auraient pas dû mettre ça. On dirait que voter c’est la même chose que se donner rendez-vous pour aller au café » croit Gautier, qui vient tout juste d’avoir 18 et qui aurait dû voter pour la première fois dimanche s’il ne s’était pas abstenu. « Mais quelle horreur cette campagne, c’est gênant. À croire que voter c’est quelque chose de fun, c’est complètement à côté », surenchérit Océane, étudiante en théâtre de 23 ans, abstentionniste également. « C’est sûr que si j’avais vu ça plus tôt, je serais allée voter », ironise de son côté Célia, 23 ans également, abstentionniste, étudiante en histoire à Lyon. « C’est vraiment infantilisant cette volonté d’essayer de parler comme « un jeune ». Ce n’est pas nous écouter, ni nous prendre au sérieux », continue plus sérieusement la jeune femme.

Une forme d’incompréhension face aux enjeux du scrutin

Alors comment expliquer cette abstention massive chez les jeunes Français et Françaises ? Pour Jean Hingray, sénateur des Vosges et président de la mission d’information sénatoriale sur « la politique en faveur de l’égalité des chances et de l’émancipation de la jeunesse », cela résulte avant tout d’un manque de pédagogie. « Les plus jeunes, mais comme une partie de la population en général, ne comprennent pas à quoi servent un département ou une région ».

Même son de cloche chez le sénateur centriste Pierre-Antoine Lévi, également membre de la mission d’information sur l’émancipation de la jeunesse, qui déclare : « Les jeunes n’ont pas compris l’importance de ces élections, ils ont du mal à mettre quelque chose de concret sur ces deux entités ».

À la Haute Assemblée, Martine Filleul, sénatrice socialiste du Nord, a déposé en février dernier une proposition de loi pour tenter de renouer le lien entre la jeunesse et les élections. Le texte prévoit notamment d’abaisser l’âge légal de vote à 16 ans, et de « généraliser, pour les communes de plus de 500 habitants, les conseils de jeunes ». Invitée sur le plateau de la matinale « Bonjour chez vous » de Public Sénat jeudi 24 juin, elle a déclaré vouloir « préparer de nouvelles générations d’électeurs. Il s’agit de favoriser une habitude de vote ».

Un constat que semble venir confirmer le témoignage de Gautier. « On n’en a rien à faire à 18 ans de savoir qui va diriger une région. Les présidentielles d’accord, mais là, on s’en moque ». « Pis déjà, c’est quoi cette idée de faire deux élections en même temps ? Les gens s’y perdent » continue-t-il. D’autant que le lycéen n’a pas reçu les professions de foi des candidats, « et ma carte électorale, seulement deux jours avant, donc bon… ».

De nouvelles manières de faire de la politique

Mais parmi les jeunes abstentionnistes interrogés, cette incompréhension est plus large et ne se limite pas seulement aux enjeux des élections régionales et départementales. Célia, qui se dit pourtant « très politisée », estime que l’abstention massive qu’a connue le scrutin de dimanche est « la preuve que ce système ne marche pas. Ce n’est plus par ce prisme de l’élection que l’on s’exprime. Certains parlent d’électroniser les votes… Mais ça ne va pas régler le problème. Nous, on fait notre politique sans vous, on la fait à notre manière ». Océane, qui dit « avoir voté Macron au deuxième tour », se déclare aujourd’hui « écœurée par la politique. « J’avais un peu d’espoir, comme il était jeune, je me disais qu’il allait faire des choses pour la jeunesse, mais plus ça avance, et plus j’ai l’impression que cela va de pire en pire ».

Car la jeunesse française est loin de se désintéresser des grands enjeux. Les marches pour le climat ou la mobilisation contre les féminicides en sont des exemples parmi d’autres. « Moi, je peux comprendre que la vie associative soit plus satisfaisante pour les jeunes. Ils sont dans une sorte d’action, pour le climat et la planète notamment. Les jeunes ne sont pas moins civiques que les autres. Ils voient les partis différemment et en ont assez. Il faudrait nous aussi que l’on s’adapte à leurs besoins, que l’on soit plus proche d’eux et d’avantage en accord avec leurs thèmes de prédilection », juge la sénatrice écologiste de Paris Esther Benbassa.

Cindy, la vingtaine et employée dans une grande surface, a voté dimanche, « par tradition et parce que j’accompagnais mon père ». Mais pour elle, « quand je lis un programme, je ne comprends rien. Les candidats ne sont pas assez explicites. Moi, j’ai envie qu’on me dise clairement qui est pour quelles causes, qui est pour l’écologie, la protection du climat ».

Une jeunesse qui a donc envie de s’exprimer et de défendre ses idées, mais qui ne voit plus le vote comme une manière d’atteindre ses objectifs. Interrogés sur leur volonté ou non de se rendre aux urnes pour le second tour, les jeunes abstentionnistes interrogés hésitent. « Je n’étais même pas au courant qu’il y avait des élections, alors le second tour, non, je ne pense pas », lâche laconique Océane.

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